La blockchain promet transparence, traçabilité et sécurité… mais qu’en est‑il du respect de la vie privée ? Le 8 avril 2025, le Comité européen de la protection des données (CEPD) a publié des lignes directrices pour aider entreprises et administrations à concilier chaîne de blocs et Règlement général sur la protection des données (RGPD). Au programme : droit à l’effacement, minimisation, responsabilité, transferts internationaux. Découvrez, en langage clair, ce qu’implique la blockchain pour vos traitements de données personnelles – et les bonnes pratiques à adopter dès la conception.
1. La blockchain, un carnet d’or… mais pas sans contraintes
La blockchain est souvent comparée à un registre infalsifiable partagé entre milliers d’ordinateurs. Chaque transaction y est gravée « à l’encre indélébile » puis répliquée sur l’ensemble du réseau. Cette architecture décentralisée crée la confiance sans autorité centrale : un atout pour la finance, la logistique ou encore la certification de diplômes.
Mais cette immutabilité, si précieuse pour l’authenticité des données, devient un vrai casse‑tête quand il s’agit de données personnelles : nom, adresse IP, clé publique, voire informations de santé ou biométriques. Le RGPD impose en effet que toute personne puisse corriger ou supprimer ses informations, limiter leur diffusion et savoir qui les traite. Or, sur une chaîne publique, aucune entité ne « possède » le registre ; impossible, a priori, d’en effacer une ligne sans briser l’intégrité de l’ensemble. Résultat : un conflit apparent entre la technologie et la législation européenne.
2. Pourquoi le CEPD publie‑t‑il de nouvelles lignes directrices ?
Depuis 2018, les start‑ups comme les grands groupes rivalisent d’imagination pour « chaîniser » des processus métier. Paiement en crypto‑actifs, traçabilité alimentaire, vote électronique, certificats verts : la blockchain sort du laboratoire. Face à cet engouement, les autorités ont longtemps manqué de repères unifiés.
Le CEPD – gardien européen de l’interprétation du RGPD – a donc adopté le 8 avril 2025 ses lignes directrices 02/2025 sur la blockchain. Objectif : clarifier comment appliquer les six principes de l’article 5 du RGPD (licéité, loyauté, transparence ; limitation des finalités ; minimisation ; exactitude ; limitation de conservation ; intégrité/confidentialité). Le texte passe en revue :
- les différents modèles de blockchain (publique, privée, permissioned) ;
- les types de données concernées (on‑chain vs off‑chain) ;
- la gouvernance et le rôle de chaque acteur (mineurs, validateurs, développeurs, utilisateurs finaux).
Le résultat est une feuille de route concrète, mise en consultation publique jusqu’au 9 juin 2025 : chacun peut commenter avant l’adoption finale.
3. Les points de vigilance RGPD pour vos projets blockchain
a) Droit à l’effacement et immuabilité
Le RGPD prévoit qu’un individu peut obtenir l’effacement de ses données dans huit hypothèses. Sur une blockchain, on ne peut pas supprimer une transaction déjà validée. La solution ? Chiffrer ou hacher les données avant inscription, puis détruire la clé ou la donnée source : on parle d’« effacement logique ». Dans certains cas, il faudra conserver les données hors chaîne (off‑chain) et n’inscrire qu’un identifiant pseudonymisé sur la chaîne.
b) Minimisation et stockage « on‑chain »
Le CEPD recommande de se demander “Ai‑je vraiment besoin d’inscrire l’information complète ?” Souvent, une empreinte cryptographique (hash) suffit : elle prouve l’intégrité du document sans révéler son contenu. Moins de données sur la blockchain, c’est moins de risques et une plus grande conformité.
c) Responsable du traitement : qui est‑ce ?
Dans un réseau décentralisé, identifier « le » responsable — celui qui détermine finalités et moyens du traitement — peut sembler impossible. Les lignes directrices invitent à analyser le rôle réel des participants : l’entité qui conçoit la plateforme ou conditionne l’inscription des données sera souvent considérée co‑responsable avec l’utilisateur qui initie la transaction. Les mineurs/validateurs peuvent rester simples sous‑traitants, à condition de ne pas décider des finalités.
d) Limitation de la durée de conservation
Une fois sur une blockchain publique, la donnée « vit » potentiellement pour toujours. L’exigence de durée limitée s’apprécie alors ex ante : l’entreprise doit prouver qu’elle a réduit au maximum la portion d’information inscrite et que l’utilisateur peut rendre la donnée inutilisable (effacement logique, clés courtes, chiffrement homomorphe, etc.).
e) Transferts internationaux de données
Les nœuds d’un réseau public se situent aux quatre coins du monde ; certains hors de l’Espace économique européen. Chaque opération de mise à disposition sur ces nœuds est un transfert, soumis au chapitre V du RGPD. Avant toute implémentation, vérifiez si vous pouvez recourir à des clauses contractuelles types ou à l’art. 49, et surtout si la donnée stockée est réellement une « donnée personnelle » (hash isolé → pas de transfert).
4. Bonnes pratiques : par où commencer pour être conforme ?
Challengez la pertinence de la blockchain
Le CEPD le martèle : avant de coder, demandez‑vous si la chaîne de blocs est vraiment la solution la plus adaptée. Pour un système interne avec une seule base de données, une blockchain privée n’apporte pas toujours d’avantage et complexifie la conformité.
Choisissez la bonne architecture
Blockchain publique, privée ou consortium ? Votre exposition aux données personnelles n’est pas la même. Une chaîne privée, ventilée entre partenaires identifiés, facilite la gestion des droits d’accès et le respect du RGPD.
Disciplinez les rôles et responsabilités
Documentez qui fait quoi : développeur, opérateur de nœud, client final. Signez des contrats précisant les obligations de chacun (articles 28 et 26 RGPD). Prévoyez des canaux pour exercer les droits d’accès, de rectification ou d’effacement logique.
Minimisez dès la conception
Adoptez le principe “privacy by design” : stockez le moins possible on‑chain, chiffrez systématiquement, recourez aux zero‑knowledge proofs pour prouver un fait sans divulguer les données (ex. : majorité numérique sans communiquer la date de naissance complète).
Anticipez la consultation publique
Jusqu’au 9 juin 2025, les citoyens, entreprises et universitaires peuvent envoyer leurs commentaires au CEPD. Si votre société développe un projet blockchain, participez ! Vous contribuerez à un cadre plus clair, tout en démontrant votre engagement RSE et conformité.
Tenez vos registres à jour
Même avec une blockchain, l’article 30 du RGPD impose un registre interne des traitements. Documentez les types de données on‑chain/off‑chain, les bases légales, les mécanismes d’effacement logique et vos analyses d’impact (AIPD).
Sensibilisez vos équipes
Développeurs, DSI, service client : chacun doit comprendre que la blockchain n’est pas un “no man’s land” juridique. Une formation ciblée sur la protection des données dans un environnement décentralisé évite 90 % des erreurs de configuration.
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