Le Tribunal judiciaire de Nanterre (25 juillet 2025, n° 23/01709) a refusé la protection par le droit d’auteur à un module e-learning conçu avec Rise 360 et pensé comme simple « exemple pédagogique » autour d’une recette de mousse au chocolat. Motif : des « choix » (thème culinaire, étapes, personnage-guide, ton bienveillant, photos libres de droit) ne suffisent pas si l’auteur ne prouve pas un véritable effort créatif portant l’empreinte de sa personnalité. Décryptage des critères d’originalité et conseils pratiques pour les responsables formation, concepteurs pédagogiques et RH.
1. Ce que le tribunal a jugé : des choix « arbitraires » ne suffisent pas
Le module en cause servait de démonstration pour une formation « Concevoir un module sur Rise 360 ». Il était structuré en dix parties (accueil, navigation, introduction, ingrédients, ustensiles, préparation, résumé, quiz, score, fin) et illustré par des clichés libres de droit. Un personnage féminin récurrent (« [T] ») guidait l’apprenant, avec un ton humoristique et bienveillant.
La demanderesse soulignait de nombreux « choix » : la recette de cuisine, la succession d’étapes, l’avatar de cheffe, des cartes mémoire, l’enchaînement des photos, le ton du contenu… Le tribunal a rappelé un principe clé du droit d’auteur : l’originalité ne découle pas du simple fait d’avoir choisi ou assemblé des éléments ; il faut encore démontrer un effort créatif qui traduit l’empreinte de la personnalité de l’auteur dans la forme donnée à l’œuvre.
Dans ce dossier, plusieurs éléments ont pesé contre la protection :
- Finalité démonstrative : le module était un exemple pour montrer des fonctionnalités de Rise 360.
- Thématique banale : une recette peut être traitée de multiples façons et, ici, la créatrice n’expliquait pas en quoi son traitement révélait sa personnalité.
- Visuels génériques : l’usage de photos libres de droit, simplement choisies pour coller aux thèmes, réduit la singularité.
- Ton pédagogique : la bienveillance ou l’humour sont fréquents en formation ; ils ne suffisent pas, en eux-mêmes, à caractériser l’originalité.
Conclusion du tribunal : le module « 10 minutes en cuisine » n’est pas protégé par le droit d’auteur faute de démonstration convaincante de cette « empreinte personnelle ». (TJ Nanterre, 1re ch., 25 juill. 2025, n° 23/01709)
2. Originalité en droit d’auteur : l’empreinte de la personnalité, pas la simple méthode
En droit français, une création est protégée par le droit d’auteur si elle est originale, c’est-à-dire si sa forme exprime des choix libres et créatifs reflétant la personnalité de son auteur. Quelques repères pour un public non juriste :
- Les idées ne sont pas protégées. On ne protège pas « l’idée d’un module sur la mousse au chocolat », ni le principe d’un quiz final. On protège la forme : le scénario précis, l’écriture, le graphisme, la sélection et l’arrangement singuliers d’éléments.
- Les contraintes techniques ou pédagogiques jouent contre l’originalité quand elles dictent la forme : si l’outil (ici Rise 360) ou les standards e-learning imposent structure, gabarits et enchaînements, la marge créative doit apparaître au-delà du simple respect de ces contraintes.
- Les choix « arbitraires » ne suffisent pas s’ils restent ordinaires ou attendus. Dire « j’ai choisi une recette, une mascotte, un ton sympa » n’est pas probant sans éléments montrant un parti pris personnel (narration, point de vue, univers graphique original, mécaniques d’apprentissage atypiques, etc.).
- La preuve est essentielle : l’originalité se démontre. Storyboards annotés, versions successives, cahier d’inspiration, moodboards, croquis, consignes de DA, consistance d’un style (typographies, palette, iconographie créées pour le projet) — autant d’indices qui matérialisent l’apport personnel.
En pratique, la frontière est factuelle. Deux modules sur un même sujet peuvent connaître un sort opposé selon la singularité démontrée par l’un et l’absence de preuves chez l’autre.
3. Comment rendre un module défendable : 7 leviers concrets
Vous concevez des modules e-learning (LMS, Rise 360, Storyline, Moodle, etc.) et vous voulez maximiser vos chances de protection ? Inspirez-vous de ces leviers, pensés pour le terrain :
- Un scénario-cadre personnel
Optez pour une narration originale (un « fil rouge » inhabituel, un point de vue de personnage, une mise en situation immersive) qui dépasse la succession standard « objectifs → contenu → quiz ». Documentez votre démarche (synopsis, persona, arche narrative, choix dramaturgiques). - Des créations visuelles dédiées
Préférez des illustrations ou photos produites pour le module (shooting, illustrations vectorielles originales, icônes maison) plutôt que des banques génériques. Si vous utilisez des assets tiers, transformez-les substantiellement (retouches, compositions, collages) et conservez les sources et fichiers de travail. - Une direction artistique cohérente et identifiable
Définissez un design system : palette, typographies, styles d’illustration, gabarits d’écran, micro-animations, ton éditorial. L’objectif : une signature visuelle reconnaissable. Archivez vos chartes et décisions de DA (pour la preuve). - Des mécaniques pédagogiques singulières
Imaginez des micro-jeux, scénarios adaptatifs, feedbacks contextualisés, métaphores visuelles… Si vos interactions sortent de l’ordinaire (au-delà des quizz QCM), expliquez pourquoi et comment vous les avez bâties. - Un univers sonore original
Voix-off écrite et enregistrée pour le module, sound design, jingles : l’audio peut renforcer la personnalité. Là encore, privilégiez la création dédiée, ou personnalisez fortement des bases existantes. - Une rédaction incarnée
Rédigez avec un style : choix lexicaux, humour à contre-pied, métaphores récurrentes, leitmotivs. Montrez que ce n’est pas un « texte passe-partout ». Les versions successives (avec commentaires) attestent de l’effort créatif. - La traçabilité de la création
Conservez toutes les pièces (briefs, propositions, arbitrages, itérations Figma/Adobe, exports intermédiaires, échanges clients, prototypes) : elles seront vos meilleures preuves en cas de litige.
Astuce juridique : si vous travaillez en équipe (auteur, DA, motion, voix-off), sécurisez les contrats de cession ou licences (périmètre, durée, territoires, supports), et vérifiez les droits tiers (banques d’images, polices, musiques). L’absence de clarté contractuelle complique toute défense.
4. Et si l’originalité fait défaut ? D’autres leviers de protection et de réaction
Tout n’est pas perdu si votre module, pris globalement, ne franchit pas la barre de l’originalité :
Traiter les usages illicites ciblés
Même sans droit d’auteur sur l’ensemble, un copié-collé intégral ou la reprise d’éléments identifiables peut révéler d’autres fautes (ex. contournement d’accès, extraction massive d’une base, reprise de votre DA singulière, usurpation de marque). La stratégie dépendra du panachage de droits mobilisables et des preuves disponibles.
Protection du logiciel et des templates
Le logiciel (p. ex. Rise 360) est protégé en tant que tel, mais ce n’est pas votre œuvre. En revanche, certains templates ou composants que vous auriez créés (blocs, scripts, micro-animations, feuilles de style) peuvent, eux, être protégés s’ils sont originaux. Isolez ces éléments et documentez leur création.
Droit sui generis du producteur de base de données
Si votre module intègre une base structurée (fiches, cas, questions paramétrées, items taggés) et que vous avez réalisé un investissement substantiel pour la constitution ou la vérification de cette base, vous pouvez bénéficier de la protection spécifique des bases de données. Elle ne suppose pas l’originalité, mais un effort d’investissement démontrable.
Marque et habillage
Le titre du module (ou de votre collection), un logo, une signature visuelle peuvent être protégés par la marque s’ils sont distinctifs. Pensez aussi à la concurrence déloyale / parasitisme si un concurrent singulièrement s’approprie votre travail, votre réputation ou vos investissements.
Secret des affaires et contrats
Vos contenus pédagogiques, benchmarks, architectures de parcours, tarifs et méthodes peuvent être sécurisés par le secret des affaires (si vous prenez des mesures raisonnables de confidentialité) et par vos contrats (NDA, conditions de réutilisation, clauses de non-sollicitation, pénalités).
À retenir. La décision du TJ de Nanterre rappelle une évidence trop souvent négligée : en e-learning, l’originalité ne se présume pas. Les outils modernes facilitent la production, mais la protection juridique exige un surcroît de création (forme, style, narration, DA) et la preuve de cet apport personnel. Bonne nouvelle : ces exigences rejoignent les bonnes pratiques pédagogiques (cohérence éditoriale, expérience apprenant, différenciation). En les intégrant dès la conception — et en archivant soigneusement votre processus — vous renforcerez à la fois la qualité de vos modules et votre position juridique.
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