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Le droit de destination : la boussole cachée du droit d’auteur

Vous pensiez qu’une œuvre devenait libre une fois achetée ? Détrompez-vous ! Grâce au droit de destination, l’auteur garde un œil sur chaque exemplaire, même après la vente.

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Une conception large du droit de reproduction

D’abord, la France  se distingue par une vision « synthétique » du droit de reproduction. Reproduire ne signifie pas seulement copier : fabriquer un support, le mettre sur le marché, le louer ou même le prêter relèvent du même monopole. L’auteur garde donc la main sur l’économie complète de son œuvre. Cette approche tranche avec la méthode dite analytique que suivent l’Allemagne, l’Espagne ou encore les États-Unis. Là-bas, la loi sépare strictement la reproduction matérielle et la distribution, si bien qu’un exemplaire devient libre après la première vente. Ce principe d’épuisement du droit limite la rémunération de l’auteur aux revenus d’origine.

Cependant, la force de ce droit impose aux utilisateurs une vigilance accrue. Acheter un livre, un disque ou un fichier numérique n’accorde pas la liberté de le projeter en public ou de le louer à la journée. Le réflexe doit être de vérifier la destination prévue. En l’absence de précision, la jurisprudence considère que le public doit s’informer tandis que l’auteur bénéficie d’une présomption favorable.

La portée opérationnelle du droit de destination

Ensuite, comment ce droit s’exerce-t-il au quotidien ? Son socle juridique se trouve dans l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle. Tout contrat de cession doit préciser l’étendue, le lieu, la durée et surtout la destination des droits cédés. La destination décrit l’usage autorisé. Elle peut être positive : « vente au détail pour usage privé ». Elle peut être négative : « diffusion publique interdite ».

Dans la pratique, les clauses de destination se multiplient. Un photographe autorise la publication de ses clichés dans un magazine mais exclut leur utilisation sur les réseaux sociaux. Un compositeur accepte la pressage de 1 000 CD réservés au marché français tout en interdisant la mise en ligne mondiale. Un éditeur de jeux vidéo autorise la vente mais verrouille la location pour ne pas voir apparaître un service de prêt illimité qui cannibaliserait les ventes

Le contrôle ne s’arrête pas au premier contractant. Le droit de destination est opposable aux tiers. Autrement dit, un acheteur qui détourne l’usage prévu commet une contrefaçon. La loi renforce encore cette protection grâce aux articles L. 332-1 et L. 335-3, qui visent la « diffusion » ou l’« utilisation illicite » d’exemplaires. En cas d’infraction, le juge peut ordonner la saisie, allouer des dommages-intérêts ou prononcer une amende pénale.

Pour les entreprises, la vigilance contractuelle devient une seconde nature : vérifier les fiches de métadonnées, lire les licences logicielles, conserver les factures qui précisent les destinations. Pour les créateurs, la clause de destination est l’outil stratégique par excellence. Elle leur permet de découper leur marché, d’organiser des fenêtres d’exploitation et d’ouvrir ou de fermer des canaux selon l’évolution des technologies.

Quand la jurisprudence consacre le contrôle de l’usage des exemplaires

Par ailleurs, plusieurs affaires célèbres illustrent la force de la destination. En 1945, la cour d’appel de Paris a estimé qu’une station de radio devait obtenir une autorisation distincte pour diffuser des disques achetés dans le commerce ; l’exemplaire, destiné à l’usage privé, changeait brutalement de finalité. En 1988, cinq arrêts de la Cour de cassation ont prolongé ce raisonnement dans le conflit opposant la Sacem à des discothèques. Les DJ diffusaient en public des CD standards. Les juges ont exigé deux autorisations : la représentation publique et la reproduction mécanique complémentaire, car le support était prévu pour un usage privé.

Puis, en 2004, l’arrêt Nintendo a transposé la logique au secteur du jeu vidéo. Un loueur mettait à disposition des cartouches sans accord des ayants droit. La Cour de cassation a considéré que la location procède de la faculté reconnue à l’auteur de limiter la reproduction à des « fins précises ». Même si le logiciel bénéficie d’un texte spécial, la haute juridiction a souligné l’autonomie du droit de destination.

La jurisprudence a aussi protégé des usages moins attendus. Un journal qui publie une photo de plateau, obtenue pour promouvoir un film, ne peut réutiliser ce cliché pour illustrer un fait divers impliquant l’acteur. Des calendriers reproduisant des tableaux ne peuvent être découpés pour fabriquer des sous-verres destinés à la vente. Un récupérateur de bobines vouées au pilon ne peut remettre ces copies dans le circuit commercial. À chaque fois, les tribunaux rappellent que l’utilisation envisagée n’était pas comprise dans la destination d’origine.
Ces décisions confortent les créateurs. Elles rappellent également aux professionnels — organisateurs de soirées, plateformes de location, marchands de seconde main — qu’une vérification juridique s’impose avant toute exploitation secondaire.

Limites, défis et avenir du mécanisme

Cependant, le droit de destination rencontre deux défis majeurs. Le premier tient à la libre circulation des marchandises dans l’Union européenne. La CJUE martèle que l’auteur ne peut empêcher la revente d’un exemplaire déjà introduit licitement dans l’Espace économique européen. Le principe d’épuisement l’emporte pour la circulation physique. Néanmoins, la Cour ajoute que l’auteur conserve le contrôle de certains usages comme la location commerciale ou la représentation publique. La vigilance reste donc de mise pour les importateurs et les revendeurs professionnels.

Le second défi vient du numérique. Les exemplaires dématérialisés ne s’usent pas et voyagent sans coût. Peut-on les revendre ? En 2012, l’arrêt « UsedSoft » a jugé possible la revente d’une licence logicielle, sous conditions strictes. La question reste ouverte pour la musique en ligne ou les livres numériques. Les plateformes de seconde main numériques tentent de s’implanter, mais se heurtent aux titulaires de droits qui invoquent la destination initiale : un achat pour usage personnel.
En parallèle, le législateur français a créé des régimes particuliers, comme la rémunération pour prêt en bibliothèque ou l’exception de communication au public dans certains lieux. Ces textes montrent que le droit de destination n’est pas absolu. Il s’adapte, se voit parfois limité pour concilier d’autres intérêts, notamment l’accès à la culture.

Enfin, l’horizon technologique ouvre de nouvelles zones grises. L’impression 3D soulève la question de la destination des fichiers modèles. Les NFTs posent celle de la destination de l’œuvre tokenisée, distincte ou non du support numérique. Les métavers promettent des usages immersifs qui pourraient nécessiter des clauses de destination encore plus détaillées. Face à ces mutations, la logique reste identique : l’auteur définit le champ d’exploitation et peut fermer la porte à toute utilisation non prévue.

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