Une société spécialisée dans les photographies culinaires découvre qu’une de ses images, représentant des oranges givrées, est utilisée sans autorisation sur le site d’une commune pour une campagne de sensibilisation à l’écologie. Contrefaçon de droit d’auteur ? Parasitisme ? Atteinte au droit de propriété sur le fichier numérique ? La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 1er octobre 2025, répond non sur toute la ligne. L’occasion de rappeler que toutes les photos ne sont pas automatiquement protégées par le droit d’auteur et que l’on ne peut pas contourner cette absence de protection en invoquant le droit de propriété « classique ».

1. Une photo d’« oranges givrées » téléchargée sur Pinterest
Une société dont le cœur d’activité est la fourniture de photographies culinaires réalisées par des professionnels découvre qu’une de ses images, intitulée « Oranges givrées », apparaît sur le site internet d’une commune.
Concrètement :
- la commune a trouvé la photo sur le site Pinterest,
- elle l’a téléchargée,
- puis utilisée pour illustrer une campagne de sensibilisation à l’écologie, à des fins d’information du public.
La société assigne la commune pour :
- contrefaçon de droit d’auteur,
- parasitisme,
- et atteinte à son droit de propriété sur le fichier numérique.
Déboutée en première instance, elle interjette appel. La Cour d’appel de Paris confirme pourtant le jugement : aucune faute n’est retenue à l’encontre de la commune.
2. Droit d’auteur : toutes les photos ne sont pas automatiquement protégées
En droit français, une photographie est protégée par le droit d’auteur si elle est originale, c’est-à-dire si elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur. Il ne suffit donc pas que l’image soit « jolie », bien réalisée ou techniquement réussie : il faut un apport créatif personnel.
La société avançait plusieurs éléments pour démontrer cette originalité :
- le style rustique de la table en bois,
- l’assiette noire contemporaine contrastant avec cette table,
- la présence de quatre oranges givrées placées sur l’assiette,
- la prise de vue en légère plongée,
- un léger flou d’arrière-plan suggérant une journée ensoleillée et mettant en valeur la fraîcheur du dessert.
La Cour d’appel considère cependant que :
- ces éléments relèvent davantage de choix techniques ou de savoir-faire professionnel,
- ils ne traduisent pas une démarche créative suffisamment personnelle,
- la banalité du sujet (un dessert classique, des oranges givrées) n’est certes pas un obstacle en soi, mais la manière de le photographier ne révèle pas ici l’empreinte particulière de la personnalité du photographe.
Résultat :
L’originalité de la photographie n’est pas démontrée.
Sans originalité, il n’y a pas d’« œuvre » au sens du droit d’auteur. La société est donc déboutée de son action en contrefaçon.
3. Pas de parasitisme pour une utilisation ponctuelle, non lucrative et d’intérêt général
Quand le droit d’auteur ne peut pas être invoqué (par manque d’originalité), certains titulaires tentent de se tourner vers le terrain de la responsabilité civile et du parasitisme.
Le parasitisme suppose, en simplifiant, qu’un acteur profite indûment des efforts, investissements ou de la réputation d’un autre, sans dépenser les mêmes moyens.
Ici, la société faisait valoir que :
- la commune avait « économisé » le coût de création d’un visuel spécifique,
- elle bénéficiait donc de ses investissements (organisation des shootings, rémunération du photographe, etc.).
La Cour rejette ce raisonnement :
- l’image était librement accessible sur Pinterest,
- sans filigrane,
- sans mention de l’auteur,
- et, surtout, n’était pas protégeable par le droit d’auteur, faute d’originalité.
S’y ajoutent plusieurs éléments contextuels importants :
- la commune a agi dans un but non lucratif,
- dans le cadre d’une campagne temporaire,
- à des fins d’intérêt général,
- avec une démarche éducative et ludique (sensibilisation à l’écologie).
Dans ces conditions, la Cour estime qu’il n’y a pas de volonté de la commune de s’approprier les investissements de la société ni de se placer dans son sillage économique.
Aucune faute de parasitisme n’est caractérisée.
4. Propriété intellectuelle vs propriété matérielle : un fichier numérique ne sauvera pas le droit d’auteur
Dernier argument de la société : même si sa photographie n’est pas protégée par le droit d’auteur, elle se dit propriétaire du fichier numérique correspondant à l’image et invoque le droit de propriété du code civil (articles 544 et suivants).
La Cour d’appel rejette nettement cette tentative de contournement :
- lorsqu’un demandeur est débouté sur le terrain du droit d’auteur, il ne peut pas se rabattre sur le droit de propriété ordinaire pour obtenir une protection équivalente,
- le droit de propriété matérielle ne peut pas servir à recréer artificiellement un monopole de propriété intellectuelle qui n’existe pas.
Même en supposant (sans le reconnaître expressément) que le fichier numérique puisse être assimilé à un « support matériel », les juges relèvent que :
- la commune n’a ni supprimé,
- ni altéré,
- ni confisqué le fichier de la société.
Elle s’est contentée de reproduire le contenu en téléchargeant l’image et en la réutilisant. Il n’y a donc pas eu de dépossession de la société sur son fichier.
La commune n’a pas porté atteinte au droit de propriété de la société sur le fichier numérique.
A retenir :
En résumé, la commune qui avait utilisé une photo d’« oranges givrées » trouvée sur Pinterest échappe à toute condamnation : la photo n’était pas originale, aucun parasitisme n’est caractérisé et le droit de propriété sur le fichier numérique ne permet pas de rattraper l’absence de protection par le droit d’auteur. Une décision qui invite à la fois à la prudence dans l’utilisation des images en ligne… et à une véritable réflexion, pour les professionnels de la photographie, sur la manière de démontrer et de valoriser leur créativité.
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