En mai et juin 2023, des autocollants anti-avortement imitant le logo « Vélib’ » ont été collés sur près de 10 000 vélos en libre-service à Paris. Saisie par la Ville de Paris, la 3ᵉ chambre, 3ᵉ section du tribunal judiciaire de Paris a jugé, le 5 novembre 2025, que cette opération constituait une contrefaçon de droit d’auteur et des actes de parasitisme, non couverts par la liberté d’expression (TJ Paris, 5 nov. 2025, n° 23/13625). Au passage, le tribunal sanctionne aussi les mentions légales irrégulières du site militant mentionné sur les autocollants. Décryptage accessible de cette décision riche d’enseignements pour les collectivités, les marques… et les communicants militants.

1. Des autocollants militants qui détournent le logo « Vélib’ »
Au printemps 2023, Paris découvre sur les garde-boues de très nombreux Vélib’ un même autocollant militant.
On y lit la phrase « Et si vous l’aviez laissé vivre ? », accompagnée de dessins montrant successivement deux fœtus, un bébé puis un enfant à vélo. Le tout se termine par l’adresse d’un site internet militant, « lessurvivants.com ».
Visuellement, le message ne laisse guère de doute : il s’agit d’une campagne anti-avortement, assumée publiquement par le mouvement « Les Survivants » sur son site et ses réseaux sociaux. Mais surtout, la typographie et le code couleur de la mention principale rappellent fortement le logo « Vélib’ » utilisé par la Ville de Paris pour son service de vélos en libre-service.
La Ville de Paris, cessionnaire des droits d’auteur sur ce logo, estime que :
- la typographie,
- le graphisme,
- et le code couleur
du logo sont repris sans autorisation, et que son service public se retrouve instrumentalisé pour une cause politique et idéologique qui lui est étrangère. Elle assigne alors le dirigeant du mouvement en contrefaçon de droit d’auteur, parasitisme et responsabilité civile délictuelle.
Le défendeur ne conteste ni l’originalité du logo, ni la ressemblance avec l’autocollant. Sa ligne de défense est ailleurs : selon lui, son message relève de la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, et devrait primer.
2. Le logo Vélib’, une création protégée par le droit d’auteur
Premier point important de la décision : le tribunal ne se place pas sur le terrain de la marque, mais uniquement sur celui du droit d’auteur. Il relève expressément que la Ville de Paris n’invoque pas ses marques « Velib’ », mais seulement les droits d’auteur sur le logo.
Concrètement, cela signifie que :
- le logo « Vélib’ » est considéré comme une œuvre de l’esprit originale (par son dessin, sa typographie, ses couleurs) ;
- la Ville de Paris est titulaire des droits patrimoniaux sur ce logo, par cession des sociétés conceptrices ;
- toute reproduction non autorisée de ce logo, ou d’éléments essentiels de ce logo, peut constituer une contrefaçon de droit d’auteur.
Or, l’autocollant litigieux reprend précisément les éléments caractéristiques du logo « Vélib’ » :
- une typographie très proche,
- des couleurs et un graphisme qui évoquent immédiatement l’identité visuelle du service.
Le tribunal retient donc sans difficulté l’existence d’une contrefaçon de droit d’auteur : les autocollants reproduisent le logo ou, à tout le moins, ses caractéristiques originales, sans autorisation, pour porter un message militant.
La Ville obtient à ce titre 10 000 € de dommages-intérêts pour le préjudice moral lié à la « banalisation » de son logo, en raison du nombre d’autocollants (environ 10 000) et de la réitération de l’opération en juin 2023.
3. Liberté d’expression vs droit d’auteur : un équilibre strict
L’argument central du défendeur tenait dans la liberté d’expression : selon lui, son message anti-avortement relève du débat public, et sanctionner cette campagne reviendrait à porter une atteinte disproportionnée à cette liberté fondamentale.
Le tribunal reconnaît sans détour que la prise de position contre l’avortement relève bien de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la CEDH. Mais il ajoute immédiatement deux limites décisives :
- La reproduction du logo n’est pas “nécessaire” au message.
Les juges relèvent que rien n’empêchait l’association d’exprimer son opinion en utilisant une typographie libre de droits ou un graphisme neutre. Autrement dit : le message anti-avortement pouvait parfaitement exister sans détourner le logo « Vélib’ ». La reproduction du logo n’est donc pas indispensable à la liberté d’expression invoquée. - La liberté d’expression ne s’invoque pas “en dehors” du cadre du droit d’auteur.
Le tribunal souligne que le défendeur invoque la liberté d’expression « de manière générale » sans se placer dans les exceptions et limitations au droit d’auteur prévues par :- la directive 2001/29/CE (par exemple, parodie, citation, caricature…),
- ou l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle.
En résumé, on ne peut pas simplement dire « c’est de la liberté d’expression » pour se dispenser de respecter les droits d’auteur d’autrui. Il faut entrer dans une exception précise (parodie, critique, information, etc.) et démontrer en quoi l’usage du logo est nécessaire et proportionné à ce message.
Le tribunal va plus loin : il rappelle qu’une condamnation pour parasitisme peut constituer une restriction légitime et proportionnée à la liberté d’expression, dès lors qu’elle vise à protéger les droits d’un tiers, reprenant la jurisprudence de la Cour de cassation.
4. Parasitisme et mentions légales : les risques cachés d’une campagne sauvage
Au-delà de la contrefaçon de droit d’auteur, la décision est particulièrement intéressante sur deux autres points : le parasitisme et les mentions légales du site internet mentionné sur l’autocollant.
a. Un parasitisme fondé sur l’image du service Vélib’
Pour les juges, l’apposition de ces autocollants sur 10 000 vélos a permis au mouvement militant :
- de profiter de la forte visibilité du service Vélib’ dans l’espace public parisien ;
- d’associer, sans autorisation, ce service public à une cause extérieure (l’opposition à l’avortement), alors que la Ville souhaite le maintenir idéologiquement neutre ;
- de bénéficier d’un retentissement médiatique important, avec de nombreux articles de presse sur plusieurs jours.
Il y a donc parasitisme : le mouvement a tiré profit, à bon compte, de la notoriété et de la visibilité du service Vélib’ pour faire connaître son message et générer du trafic vers son site « lessurvivants.com ». Le tribunal indemnise ce préjudice moral à hauteur de 15 000 €.
À noter : la Ville est en revanche déboutée de ses demandes de préjudice économique et d’image liées au parasitisme, faute de preuves suffisantes et de chiffrage précis. Le tribunal applique ici strictement le principe de réparation intégrale : pas de dommage prouvé, pas d’indemnisation.
b. Des mentions légales fantaisistes… sanctionnées
Autre enseignement pratique très concret : les mentions légales du site « lessurvivants.com ».
Le jugement relève que l’adresse postale indiquée pour le « propriétaire » du site est volontairement fantaisiste (sans code postal ni ville, et de surcroît erronée). Résultat : la Ville de Paris a dû :
- engager des démarches auprès de l’hébergeur,
- déposer une requête devant le président du tribunal pour obtenir l’identité et les coordonnées du titulaire du nom de domaine,
- faire exécuter l’ordonnance pour enfin obtenir ces informations.
Le tribunal considère que ces mentions légales non conformes à la loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) constituent une faute civile, ayant causé un préjudice à la Ville (les frais engagés pour identifier le responsable). Le dirigeant est condamné à 3 000 € de dommages-intérêts sur ce fondement.
Le message est clair :
- se cacher derrière des mentions légales incomplètes ou fausses n’est pas une protection,
- c’est au contraire un risque supplémentaire de responsabilité.
A retenir :
Cette décision du tribunal judiciaire de Paris apporte plusieurs enseignements essentiels :
- Un logo institutionnel ou de marque est bien protégé par le droit d’auteur.
En reprendre la typographie, les couleurs et le graphisme pour faire passer un message militant, humoristique ou commercial peut constituer une contrefaçon, si aucun accord n’a été donné. - La liberté d’expression n’efface pas le droit d’auteur.
Même pour un message politique ou de société, l’usage d’un signe protégé doit rester nécessaire, proportionné et, idéalement, entrer dans une exception (parodie, critique, etc.). À défaut, la sanction (dommages-intérêts, interdiction) peut être jugée compatible avec la CEDH. - Le parasitisme sanctionne l’appropriation de la notoriété d’autrui.
Utiliser un service public très visible comme support gratuit d’une campagne militante, afin de renvoyer vers son site, revient à profiter indûment de sa notoriété : c’est du parasitisme, même sans but lucratif direct. - Les mentions légales ne sont pas une formalité anodine.
En cas de litige, une adresse fantaisiste ou incomplète peut être qualifiée de faute et donner lieu à indemnisation, en plus des risques pénaux et administratifs prévus par la LCEN.
Pour les collectivités et les détenteurs de marques ou de logos, cette affaire « Vélib’ » confirme qu’il est possible de réagir efficacement lorsque leur identité visuelle est captée pour une cause ou un message qu’ils ne souhaitent pas endosser. Pour les communicants, militants ou associations, elle rappelle que le détournement d’un logo existant n’est pas un « détail graphique », mais un terrain juridique sensible, où liberté d’expression et propriété intellectuelle ne se jouent pas à armes égales sans une analyse fine du risque.
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