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La fusée de Tintin est-elle protégée par le droit d’auteur ? Le Tribunal de Marseille répond oui

par | 20 Nov 2025 | Droit d'auteur

La célèbre fusée rouge et blanche imaginée par Hergé ne se contente pas de faire rêver les lecteurs : elle est aussi protégée par le droit d’auteur. Dans une décision du 9 octobre 2025 (TJ Marseille, 1re ch., n° 23/02489), le tribunal judiciaire de Marseille reconnaît l’originalité de la fusée de Tintin, mais aussi celle d’une fusée reprenant ce même esprit graphique. L’occasion de rappeler que les créations graphiques, même inspirées d’objets techniques existants, peuvent bénéficier d’une protection forte dès lors qu’elles portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur.

1. Pourquoi parle-t-on d’« originalité » pour la fusée de Tintin ?

En droit d’auteur, une création n’est protégée que si elle est originale. Cela signifie, en termes simples, qu’elle doit refléter des choix créatifs personnels, des « arbitrages » qui traduisent la personnalité de son auteur. Ce n’est pas la nouveauté technique qui compte, mais la dimension artistique et les choix esthétiques.

Dans l’affaire jugée par le Tribunal judiciaire de Marseille, étaient en cause des créations de Monsieur [TJ] et de la société CLEMENTINE, qui avaient reproduit la célèbre fusée de Hergé. Le Tribunal relève qu’ils ont repris les éléments originaux caractéristiques de la fusée imaginée par Hergé, à savoir notamment :

  • le support tripodique (les trois pieds qui soutiennent la fusée) ;
  • la forme oblongue, plus évasée en son centre ;
  • la décoration en damier rouge et blanc,
    • sans modification pour la « Fusée R&B craquelée »,
    • avec de très légères modifications pour la « Fusée puzzle ».

Les défendeurs tentaient de minimiser cette originalité en affirmant que ce « schéma de conception de la fusée », avec des ailerons et une forme ronde ludique, se retrouverait « largement » dans les dessins de fusées pour enfants disponibles sur internet. Le Tribunal ne les suit pas.

Il rappelle au contraire que la fusée de Tintin « possède sa physionomie propre qui la rend immédiatement reconnaissable, résultant du choix de l’auteur et d’arbitrages qui lui sont tout à fait personnels » et qu’elle « constitue également une œuvre originale ». En d’autres termes, même si l’idée de la fusée n’est pas nouvelle, la manière dont Hergé l’a représentée – la combinaison précise des formes, des proportions, du motif en damier – est protégée.


2. Une fusée inspirée des V2… mais tout de même originale

Au-delà de la contrefaçon patrimoniale, l’artiste invoquait deux atteintes à son droit moral : paternité et respect de l’œuvre. Sur le respect matériel (intégrité physique), il soutenait que l’œuvre, placée « derrière une machine à café » ou filmée de manière tronquée, avait été « amputée ». Le tribunal adopte une ligne pragmatique : filmer l’œuvre partiellement ou avec un élément de décor devant elle n’altère pas l’œuvre elle-même. En d’autres termes, une captation qui cadre serré ou masque partiellement ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une dégradation de l’objet protégé.

Restait la question, plus subtile, du respect de l’esprit de l’œuvre (son « intégrité spirituelle »). L’artiste plaidait que l’association de son tableau à la personnalité controversée du professeur mis en cause dénigrait son travail et portait atteinte à sa réputation. Le tribunal rejette : si le commentaire du film explique que les œuvres exposées « reflètent la personnalité » du professeur, aucune critique directe ne vise l’œuvre elle-même. Il n’y a donc pas, selon le juge, atteinte à l’esprit de l’œuvre par simple association avec un personnage discuté.

Pour un public non juriste, retenons ceci : le droit moral permet à l’auteur de s’opposer aux déformations d’une œuvre et, dans certains cas, à des contextes d’utilisation préjudiciables à son honneur ou à sa réputation. Mais toutes les associations polémiques ne tombent pas automatiquement sous le coup de ce droit. Il faut des éléments ciblant l’œuvre (ou l’auteur via son œuvre) et non une critique générale d’un protagoniste du film. Faute de quoi, l’atteinte à l’esprit n’est pas caractérisée.


3. La théorie de l’accessoire : fortuité exigée, intention prohibée

Pour se défendre, les sociétés invoquaient la théorie de l’accessoire : lorsqu’une œuvre apparaît accessoirement dans une image (par exemple, une peinture en arrière-plan d’une scène), il n’y aurait pas de véritable « communication au public » au sens du droit d’auteur. La jurisprudence française admet, de longue date, que l’apparition fortuite, imbriquée au sujet, ne porte pas atteinte au monopole de l’auteur.

Le tribunal rappelle l’esprit de cette construction : elle vise les inclusions non voulues (le cadre passe sur une affiche, un logo, une œuvre au second plan, sans intention d’exploiter l’œuvre). Autrement dit, l’accessoire suppose la fortuité. Ici, au contraire, la production a voulu reconstituer le bureau et la toile ; elle a délibérément reproduit l’œuvre sur un support physique. Nous ne sommes plus dans l’« arrière-plan qui traîne dans le champ », mais dans un choix de mise en scène qui requiert l’autorisation de l’auteur ou de ses ayants droit. D’où le rejet de la théorie de l’accessoire.

Point pratique important : en France, la théorie de l’accessoire n’est pas une « exception » écrite dans la loi au même titre que, par exemple, la courte citation. C’est une limite jurisprudentielle : lorsqu’elle s’applique, on considère qu’il n’y a pas d’usage pertinent des droits de l’auteur, parce que l’œuvre n’est qu’un détail fortuit lié au sujet filmé. Dès qu’il y a intention (reconstruction, cadrage appuyé, répétition, mise en avant), la porte se referme : il faut un accord.


A retenir :

Cette affaire illustre une ligne de crête simple à retenir : filmer un espace où une œuvre apparaît par hasard peut, dans certaines limites, rester en dehors du droit d’auteur ; recréer délibérément cette œuvre pour un tournage, non. Pour éviter la contrefaçon, on demande l’autorisation ou on s’en passe. Et si débat moral il y a, il doit viser l’œuvre elle-même — pas seulement la personnalité de celui chez qui elle est accrochée.

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