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Dommages et intérêts, préjudice et contrefaçon

La copie d’un dessin, d’un modèle ou d’une œuvre artistique ne lèse pas seulement l’auteur sur le plan moral ; elle déséquilibre aussi son marché et enrichit indûment le contrefacteur. Depuis 2007, la France applique un cadre précis pour chiffrer ces dommages et intérêts : pertes économiques, gains illégitimes, atteinte à l’image… Tour d’horizon, en langage clair, des règles qui président à l’indemnisation.

Dommages et intérêts, préjudice, et contrefaçon

1) Un socle légal harmonisé pour toutes les créations protégées

D’abord, il faut retenir que l’évaluation du préjudice suit aujourd’hui une logique uniforme, qu’il s’agisse d’un dessin, d’un modèle ou d’un droit d’auteur. La loi du 29 octobre 2007, transposant la directive 2004/48/CE, a réécrit les articles L 331-1-3 (droits d’auteur) et L 521-7 (dessins et modèles) du Code de la propriété intellectuelle pour imposer trois variables :

  • les conséquences économiques négatives,
  • le préjudice moral
  • et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte.

Avant cette réforme, la jurisprudence appliquait la règle classique « tout le préjudice, mais rien que le préjudice ». Désormais, la démarche est plus structurée. Le juge doit examiner distinctement chaque poste, même s’il ne les cumule pas nécessairement. L’objectif affiché par le législateur européen est double :

  • garantir une réparation complète,
  • et empêcher le contrefacteur de conserver un avantage financier, sans instaurer pour autant de dommages et intérêts punitifs.

Cette logique se retrouve dans la loi du 11 mars 2014, qui ajoute le mot « distinctement » pour souligner l’obligation d’analyse détaillée. Concrètement, le demandeur doit documenter ses pertes de chiffre d’affaires, prouver la marge obtenue par la contrefaçon et étayer l’atteinte à son image. Le magistrat, lui, motive sa décision poste par poste, sous le contrôle vigilant de la Cour de cassation.

2) Les pertes économiques dues à la contrefaçon : mesurer le manque à gagner avec réalisme

Ensuite, le premier critère vise les « conséquences économiques négatives » subies par le titulaire. En pratique, le tribunal commence par identifier la « masse contrefaisante », c’est-à-dire le volume de produits illicites écoulés. Toutefois, il n’applique pas systématiquement une équivalence : encore faut-il démontrer que l’entreprise victime aurait pu produire et vendre ces quantités. La jurisprudence exige donc la preuve de la capacité industrielle et commerciale, parfois par des tableaux de production, des contrats de distribution ou des attestations d’experts-comptables.

Par ailleurs, le juge pondère la masse contrefaisante lorsque le modèle est peu distinctif, lorsque le marché est saturé de références similaires ou lorsque les prix divergent fortement : un sac haut de gamme vendu 2 000 € n’est pas substituable, pour la plupart des consommateurs, à une copie diffusée à 49 €. De même, sur un marché cyclique comme le prêt-à-porter, la mode peut se démoder avant que le titulaire n’écoule son stock potentiel ; un abattement tient alors compte de l’aléa commercial.

Une fois la quantité ajustée, le juge applique le taux de marge pratiqué par le créateur. Le débat porte souvent sur la marge brute (prix de vente moins coût de revient) ou la marge nette (après frais généraux) ; les décisions oscillent, mais la Haute juridiction valide l’une ou l’autre dès lors que le choix est motivé. À noter : si le titulaire n’exploite pas son modèle, il peut réclamer, à titre alternatif, une redevance forfaitaire calculée sur la base des royalties qu’il aurait perçues en cas de licence, sans préjudice d’une indemnité pour préjudice moral.

3) Les profits de l’auteur de la contrefaçon : empêcher l’enrichissement injustifié

Cependant, indemniser le seul manque à gagner ne suffit pas toujours à rétablir l’équilibre. C’est pourquoi les articles L 331-1-3 et L 521-7 invitent le juge à considérer « les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte ». L’idée n’est pas punitive ; elle vise à priver le fraudeur de l’avantage compétitif issu de la copie.

Dans la pratique, deux approches coexistent.

  • D’une part, le magistrat peut retenir une restitution intégrale des profits quand le contrefacteur a construit l’essentiel de son chiffre d’affaires sur l’œuvre copiée.
  • D’autre part, la Cour d’appel de Paris rappelle que ce poste ne doit pas être ajouté automatiquement au manque à gagner ; l’indemnité finale doit rester proportionnée au préjudice total. Par exemple, si la victime démontre une perte de ventes couvrant déjà la masse contrefaisante, récupérer en plus la totalité des profits doublerait la compensation sans justification économique.

En revanche, lorsque la marque lésée ne pouvait s’adresser qu’à une clientèle de luxe, il est légitime d’exiger la restitution du bénéfice marginal gagné par un distributeur de grande diffusion qui a capté une clientèle différente. Le juge procède alors à un partage équitable, souvent sur la base des documents comptables saisis lors d’une ordonnance sur requête ou d’une saisie-contrefaçon.

4) Le préjudice moral : réparer la dépréciation de l’image et la banalisation

Enfin, le troisième axe traite du « préjudice moral », notion parfois abstraite pour les non-juristes. En propriété intellectuelle, elle recouvre la banalisation d’un modèle exclusif, la dégradation d’un univers de marque ou l’atteinte au prestige lié à la rareté. Les juridictions y sont sensibles, notamment dans les secteurs du luxe et de la création artistique. Ainsi, la diffusion de copies à bas prix dans la grande distribution peut ternir l’aura d’une maison de couture ou d’un verrier d’art ; la cour chiffre alors cette atteinte en tenant compte de la notoriété, de l’ampleur de la diffusion et de la différence de qualité entre l’original et la copie. Les montants retenus varient : quelques milliers d’euros pour une dentelle peu visible, jusqu’à plusieurs centaines de milliers pour un sac iconique banalisé à grande échelle.

Depuis 2022, la jurisprudence souligne que le préjudice moral reste distinct du manque à gagner ; il doit donc être motivé par des éléments concrets (campagnes publicitaires, positionnement haut de gamme, témoignages d’experts). Le demandeur peut produire des coupures de presse ou des études de marché pour appuyer son dossier. Par ailleurs, si l’auteur de l’œuvre s’estime atteint personnellement, il peut agir aux côtés de son éditeur ou de sa société d’exploitation et percevoir une indemnité autonome.

Conclusion

En somme, l’indemnisation de la contrefaçon repose sur un triptyque : pertes directes, profits injustes, atteinte à l’image. Le juge examine ces postes un à un, puis fixe une somme globale proportionnée. Pour maximiser ses chances, un titulaire de droits doit réunir dès le début des tableaux de production, des analyses de marché, des pièces comptables et des éléments de notoriété. Quant au contrefacteur présumé, il a intérêt à produire des preuves inverses : capacités limitées du plaignant, marge réelle inférieure, caractère banal du modèle. Dans tous les cas, le débat se gagnera sur la solidité des chiffres et non sur des impressions.

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