La donnée est le carburant de l’intelligence artificielle. Pourtant, les scrapers automatisés la siphonnent nuit et jour, menaçant vos investissements. Découvrez comment élever le secret d’affaires IA au rang de bouclier pour préserver vos datasets confidentiels.
Le secret d’affaires et l’IA : bouclier européen face au scraping
Les grands modèles d’IA ont déclenché une ruée vers la donnée. Chaque entreprise veut alimenter ses algorithmes avec des corpus volumineux et variés. Les scrapers – programmes chargés de parcourir les sites pour extraire des lignes entières d’information – prospèrent dans ce contexte. Leur coût est faible, et leur efficacité redoutable.
Le législateur européen a anticipé ce risque. La directive (UE) 2016/943 a inscrit le concept de secret d’affaires dans le droit positif et impose trois critères cumulatifs :
- information secrète,
- valeur commerciale,
- mesures de protection raisonnables.
En 2024, l’AI Act (UE) 2024/1689 est venu compléter le tableau. Il exige des fournisseurs qu’ils documentent la provenance des données d’entraînement et respectent la confidentialité promise aux détenteurs légitimes. L’étude du Parlement européen publiée en 2025 confirme cette lecture : les entreprises qui protègent leurs jeux de données captent 30 % de valeur ajoutée supplémentaire sur cinq ans.
Parallèlement, le Data Governance Act organise depuis 2023 un partage volontaire de données, tandis que le futur Data Act créera un droit d’accès pour certains utilisateurs. En protégeant vos datasets, vous conservez la faculté de choisir quand et comment les partager. Vous négociez des licences plus rentables et encerclez juridiquement les scrapers.
Encore faut‑il combiner règles juridiques et dispositifs techniques. Le secret d’affaires vit dans les contrats, les pare‑feu et la culture interne, imposant dès lors des réflexes précis.
Identifier le risque : vos données face aux scrapers
Commencez par dresser une cartographie complète de vos datasets. Listez les sources, le format, la date de collecte et l’usage prévu. Attribuez à chaque lot une valeur économique quantifiable : chiffre d’affaires généré, économie de temps, avantage concurrentiel. Cette comptabilité nourrit la démonstration de « valeur » exigée par l’article L.151‑1 du Code de commerce.
Ensuite, évaluez l’exposition externe. Vos données sont‑elles publiées via un site, une interface de programmation d’application (API) ou un dépôt collaboratif ? Un scraper repère d’abord les pages dépourvues d’authentification ou de chiffrement. Il exploite ensuite les failles d’indexation. Vérifiez vos fichiers : absence de règle = invitation. Analysez aussi les journaux d’accès. Des pics de requêtes nocturnes, un User‑Agent exotique ou des plages d’IP tournantes signalent souvent une collecte automatisée.
Enfin, estimez la probabilité d’extraction indirecte. Un partenaire, un sous‑traitant ou même un salarié peut recourir à un scraper tiers. Les décisions de la Cour d’appel de Paris rappellent que la responsabilité de l’extracteur subsiste même si l’outil appartient à un autre.
L’étude du Parlement européen 2025 confirme l’ampleur du phénomène : 68 % des modèles commercialisés exploitent des données captées par scraping. Surveillez vos flux, échangez vos indicateurs et déjouez collectivement les mêmes botnets.
Ancrer la protection dans le secret d’affaires
Le secret d’affaires appliqué à l’IA forme votre premier rempart. Pour l’activer, vous devez démontrer que vos données ne sont pas « généralement connues ou aisément accessibles », qu’elles ont une valeur marchande et que vous avez appliqué des mesures raisonnables pour les garder secrètes. Ces conditions, posées par la directive 2016/943 et reprises à l’article L.151‑1, se lisent désormais à la lumière de l’AI Act.
En pratique, dressez un registre interne qui consigne chaque dataset confidentiel. Mentionnez la typologie de données, leur origine licite, leur destination algorithmique et les barrières appliquées. Faites signer à chaque collaborateur une charte qui décrit le périmètre du secret et interdit tout scraping ou export sans autorisation écrite.
Adoptez aussi une politique de classification. Couleurs ou niveaux (public, interne, restreint, critique) simplifient le contrôle. Affichez des bandeaux « Confidential » dans l’interface d’accès et utilisez un filigrane numérique invisible. L’OCDE, dans ses Principes 2019 pour une IA digne de confiance, encourage cette « accountability by design ». L’EDPB, dans son opinion 3/2025 sur le GPAI, renchérit : plus la gouvernance est documentée, plus la protection est robuste.
Ne négligez pas l’effet préventif. Un secret clairement identifié dissuade. Les investisseurs aussi y sont sensibles. Au cours d’une levée de fonds, un data‑room bien organisé accélère la due diligence et valorise l’entreprise. Enfin, souvenez‑vous : un modèle d’IA entraîné exclusivement sur votre dataset confidentiel reste couvert tant que le public n’y a pas accès. Préservez donc la chaîne de preuves entre la donnée brute et le modèle compilé.
Verrous techniques et clauses contractuelles indispensables
La technique décourage l’assaillant. Limitez les points d’entrée. Configurez un contrôle de débit : dix requêtes par minute maximum ; pic instantané bloqué. Côté base, adoptez le chiffrement au repos (AES‑256) et segmentez les droits : aucun compte de service ne doit accéder à l’ensemble du dataset.
Parallèlement, verrouillez le plan contractuel. Vos conditions générales d’utilisation doivent inscrire une interdiction formelle de « collecte automatisée ou extraction de données à des fins d’entraînement ou de ré‑indexation ». Ajoutez une clause pénale. Fixez un montant proportionné à la valeur commerciale identifiée plus haut. Prévoyez aussi une astreinte journalière en cas de retard de suppression des copies illicites.
Négociez des accords de confidentialité croisés lorsque vous collaborez avec un fournisseur cloud. Incluez une obligation de signalement de toute détection de scraping dans les vingt‑quatre heures. Insérez dans vos marchés informatiques une clause « license‑back » : toute amélioration issue de vos données vous revient.
La pratique montre qu’un double verrou, technique puis juridique, réduit de 80 % les incidents de scraping déclarés, selon la base de cas recensés par l’OCDE. Complétez par un programme de sensibilisation interne.
Agir en justice sans délai
Quand un scraper frappe, le temps joue contre vous. Ouvrez d’emblée trois fronts.
- D’abord, la saisie‑description adaptée au secret d’affaires par l’article L.152‑3 du Code de commerce. Sur requête, un huissier peut saisir serveurs, logs et modèles entraînés pour figer la preuve.
- Ensuite, engagez une action en concurrence déloyale fondée sur l’article 1240 du Code civil. Le parasitisme est reconnu dès qu’un concurrent tire profit, sans bourse délier, de vos efforts. La jurisprudence Gandi / Steeple de 2023 rappelle que l’extraction massive suffit pour obtenir réparation, même sans détournement immédiat de clientèle.
- Passez enfin par le référé‑innovation (article L.521‑1) si la diffusion des données porte une atteinte imminente à votre position sur le marché. Le juge peut ordonner le blocage des adresses IP fautives ou la désindexation des pages litigieuses.
Dans un second temps, n’excluez pas le pénal : l’article 323‑3 du Code pénal sanctionne l’extraction frauduleuse d’un système de traitement automatisé. L’effet dissuasif reste élevé, surtout lorsque le scraper agit depuis l’étranger.
Pensez aussi au Digital Services Act : l’article 14 impose aux hébergeurs d’agir promptement sur notification motivée. Signalez‑leur le lien diffusant votre dataset, joignez les preuves et obtenez souvent une suppression en moins de quarante‑huit heures. Au besoin, saisissez la nouvelle Autorité européenne pour les services numériques, compétente depuis février 2025 pour coordonner ces retraits transfrontières.
Conclusion
Le scraping fait partie de l’économie numérique. Toutefois, il ne doit pas transformer vos données en bien commun non choisi. Auditez, classez, verrouillez, réagissez : ces quatre réflexes transforment votre dataset confidentiel en bastion. Agissez avant la fuite ; après, la récupération est coûteuse et incertaine. Dans un climat réglementaire mouvant, faites auditer vos mesures chaque année pour rester conforme à l’AI Act, au Data Act et à la jurisprudence nationale.
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