Déposer une marque, c’est s’assurer une protection juridique. Mais encore faut-il que cette marque ne porte pas atteinte à un droit antérieur. En droit de la propriété intellectuelle, la « marque antérieure » désigne une marque déjà protégée à la date d’un dépôt ultérieur. Son titulaire peut bloquer ou faire annuler toute nouvelle marque similaire, afin d’éviter le risque de confusion. Comment cette protection fonctionne-t-elle ? Quels sont les critères de comparaison entre les marques ? Et comment prouver une atteinte en pratique ? Cet article vous donne toutes les clés pour mieux comprendre cette notion centrale.
1) Une marque antérieure : de quoi parle-t-on exactement ?
En France, une marque est un signe qui permet de distinguer les produits ou services d’une entreprise de ceux de ses concurrents. Ce signe peut être verbal, figuratif, sonore ou encore une combinaison de ces éléments. La marque bénéficie d’une protection légale à condition d’être déposée auprès d’un office de propriété industrielle (comme l’INPI) et enregistrée.
Cette protection permet à son titulaire d’agir contre les signes déposés postérieurement qui porteraient atteinte à ses droits. La « marque antérieure » désigne donc une marque déjà protégée – par un dépôt suivi d’un enregistrement – à la date du dépôt d’une nouvelle marque. Ce système repose sur le principe dit « attributif de droit » : seul le dépôt permet de bénéficier d’un droit de marque. Utiliser un signe sans le déposer ne suffit pas, sauf exception.
Une exception existe : celle de la marque « notoirement connue ». En vertu de la Convention de Paris, un signe qui jouit d’une notoriété particulière peut bénéficier d’une protection même sans dépôt, à condition de démontrer sa reconnaissance par le public concerné, de manière claire, continue et significative. Cela reste toutefois rare.
Par ailleurs, une marque ne peut faire obstacle qu’aux marques visant le même territoire : marque française, marque de l’Union européenne ou marque internationale ayant effet en France, selon le cas.
2) Quand une nouvelle marque porte-t-elle atteinte à une marque antérieure ?
Pour qu’une marque postérieure soit considérée comme portant atteinte à un signe antérieur, trois conditions doivent être réunies :
- Les deux signes doivent être identiques ou similaires.
- Les produits ou services visés doivent eux aussi être identiques ou similaires.
- Il doit exister un risque de confusion dans l’esprit du public.
C’est le principe de spécialité qui s’applique ici : une marque ne protège que les produits ou services qu’elle désigne. Ainsi, un signe MONT-BLANC pour des stylos peut coexister avec MONT-BLANC pour des desserts.
Pour vérifier l’atteinte, l’INPI (ou les juridictions) compare les libellés tels qu’ils figurent dans les dépôts, et non selon l’usage réel. Si les produits visés ne sont pas exprimés avec clarté et précision, la marque précédemment déposée pourra même être jugée inopposable. L’appréciation du risque de confusion repose sur une analyse globale. Elle tient compte de la perception d’un consommateur moyen, normalement informé et attentif. L’usage d’un signe ressemblant peut entraîner une confusion directe (on confond les marques) ou indirecte (on les croit liées).
Des facteurs comme la notoriété de la marque précédemment déposée, sa distinctivité, ou l’existence d’une série de marques similaires peuvent renforcer cette protection. Inversement, si les différences sont claires ou que les publics visés sont très différents, la confusion sera écartée.
3) Comparer les produits, les services et les signes : quelles règles ?
La comparaison des produits et services repose sur les mentions inscrites dans les dépôts. Peu importe la façon dont les signes sont réellement utilisées. On n’analyse donc ni les circuits de distribution, ni les prix, ni la clientèle visée, sauf si ces éléments apparaissent dans le libellé.
- Deux produits sont identiques si le libellé est le même, ou si l’un englobe l’autre.
- Ils sont similaires si le consommateur moyen peut les attribuer à la même origine économique. Cela suppose une destination, une nature ou un usage proche. Il faut aussi que les produits soient proposés ensemble sur le marché.
- La notion de « complémentarité » est également prise en compte. Un produit est complémentaire d’un autre s’il est indispensable ou courant pour son usage, au point que le public leur attribue la même origine. C’est le cas, par exemple, d’un logiciel et d’un service d’assistance pour ce logiciel.
Côté signes, la comparaison porte sur les signes tels que déposés. L’analyse tient compte des ressemblances visuelles, phonétiques et conceptuelles. Elle s’effectue dans l’esprit d’un consommateur qui conserve une image imparfaite de la marque.</p>
Certains éléments, comme un mot commun à plusieurs marques d’un même titulaire (ex. « VITA » dans VITASOFT, VITAPLUS…), peuvent renforcer la protection au titre d’une « famille de marques ».
Une similitude existe même si les signes ne sont pas identiques : il suffit qu’ils se ressemblent suffisamment pour induire en erreur. Cela dépend de la longueur des termes, de la présence de syllabes ou éléments figuratifs communs, ou encore du caractère distinctif des éléments en cause.
4) Comment prouver une atteinte à la marque antérieure ?
En cas de litige, c’est au titulaire du signe antérieur de prouver que les conditions d’atteinte sont réunies. Cette preuve peut être apportée dans le cadre d’une opposition devant l’INPI ou d’une action en nullité ou en contrefaçon.
Pour cela, il faut :
- produire le dépôt et l’enregistrement de sa marque antérieure ;
- comparer les produits et services en cause, selon les libellés officiels ;
- démontrer la similarité des signes ;
- établir un risque de confusion dans l’esprit du public.
L’appréciation globale tient compte de l’ensemble des circonstances. La notoriété de la marque antérieure, sa longue exploitation ou sa reconnaissance dans le public peuvent renforcer la démonstration.
Enfin, l’INPI et les juridictions doivent également définir le « public pertinent », c’est-à-dire les consommateurs visés par les produits ou services. Leur niveau d’attention variera selon qu’il s’agisse d’un produit courant ou technique, bon marché ou onéreux.
Conclusion
La marque antérieure bénéficie d’une protection solide, qui peut faire obstacle à toute tentative d’appropriation postérieure. Mais pour en bénéficier pleinement, il est crucial de bien définir ses produits, de déposer rapidement son signe, et de veiller à sa notoriété. En cas de conflit, le titulaire devra prouver le risque de confusion en mobilisant l’ensemble des critères analysés plus haut.
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RESSOURCES :
- Code de la propriété intellectuelle : articles L. 711-1 à L. 711-3, L. 713-5, L. 716-2-6
- Directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015
- Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, art. 6 bis
- CJCE, 29 septembre 1998, aff. C-39/97, Canon
- INPI, Guide de l’opposition à l’enregistrement d’une marque
- Deshoulières Avocats, « Comment effectuer une recherche d’antériorité de marque à l’Inpi ?«