Désormais, du studio de design au conseil d’administration, la même question émerge : qui détient la propriété des prompts adressés à une intelligence artificielle générative ? La réponse dépend du droit d’auteur, de l’IA Act européen et, surtout, de la stratégie contractuelle que vous adoptez.
Le prompt, nouvelle œuvre de l’esprit ?
D’abord, il convient de rappeler la définition classique de l’œuvre de l’esprit. L’article L.111-1 du Code de la Propriété intellectuelle prévoit un droit d’auteur pour toute création originale, c’est-à-dire portant l’empreinte de la personnalité de son auteur. Le US Copyright Office suit la même logique : la protection naît d’une contribution humaine perceptible. Cette exigence soulève deux questions. Le prompt, en tant que séquence de mots, exprime-t-il un choix créatif libre ? Ce choix demeure-t-il visible dans le résultat généré ?
Prenons un prompt élaboré décrivant une ambiance, un style pictural, une palette précise. Le niveau de détail révèle une démarche intellectuelle riche, comparable à une note de mise en scène. De multiples décisions subjectives façonnent la forme finale. Dans ce cas, la condition d’originalité pourrait être remplie. L’organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) précise que le seuil reste bas mais réel : un langage descriptif standard ne suffit pas. À l’inverse, un prompt générique, repris par plusieurs utilisateurs, restera hors champ.
Cependant, même original, le prompt doit être fixé sur un support pour ouvrir des droits. L’enregistrement interne, le dépôt chez un huissier ou l’horodatage blockchain sont donc recommandés. Cette fixation prouve l’antériorité et clarifie la titularité. Enfin, rappelons que le droit d’auteur protège la forme, non l’idée : la logique d’interaction reste libre. Les litiges porteront donc sur la reproduction littérale ou quasi littérale du prompt, non sur son concept.
Les régimes juridiques existants face au prompt
Ensuite, il faut examiner les autres leviers juridiques qui entourent les prompts. Le droit d’auteur n’est pas la seule solution. Un prompt peut devenir un secret d’affaires selon la directive 2016/943, transposée aux articles L.151-1 et suivants. La valeur économique, la confidentialité et la mise en place de mesures de protection internes sont alors indispensables.
Par ailleurs, un ensemble structuré de prompts peut relever du droit sui generis des bases de données (directive 96/9/CE). Ce droit protège l’investissement substantiel dans la constitution, la vérification ou la présentation du contenu. Ainsi, un catalogue classé par usages peut être défendu, même si chaque instruction prise isolément reste banale.
Aux États-Unis, le Digital Millennium Copyright Act offre des mesures techniques et un mécanisme d’avis de retrait. Cependant, le DMCA ne vise que la reproduction textuelle, pas l’idée sous-jacente.
Enfin, la licence encadrant l’outil d’IA ajoute une couche contractuelle. Certaines plateformes accordent par défaut un droit de réutilisation non exclusif aux utilisateurs. Lire ces conditions est décisif. Des clauses de cession automatique peuvent transférer les droits sur le prompt ou sur le résultat. Autrement dit, réutiliser des prompts publics sans vérifier leur statut expose l’entreprise à des sanctions administratives et civiles.
Quel impact du futur IA Act sur la propriété des prompts ?
Cependant, le cadre pourrait changer avec l’entrée en vigueur du futur AI Act. Le texte crée des obligations de transparence pour les modèles fondamentaux. Les fournisseurs devront divulguer des informations sur les données d’entraînement, y compris des exemples représentatifs de prompts. Cette transparence, conçue pour limiter les biais, soulève une inquiétude : la divulgation forcée d’instructions protégées.
L’IA Act n’attribue pas directement de droits sur le prompt, mais il influence leur gestion. Le projet impose aux utilisateurs professionnels de vérifier la licéité des données qu’ils fournissent. En France, le Conseil Supérieur de la propriété littéraire et artistique propose de relier l’AI Act à l’article L.132-24 CPI pour faciliter l’interopérabilité des prompts.
Les experts envisagent aussi d’étendre l’exception de décompilation pour permettre l’interopérabilité. Cette évolution reste discutée, mais elle pourrait renforcer la circulation licite des instructions tout en préservant la créativité humaine.
Stratégies contractuelles pour sécuriser vos prompts
Enfin, la meilleure protection s’obtient en amont, par contrat. Commencez par définir le prompt dans vos conditions générales. Indiquez si vous le qualifiez d’œuvre protégée ou de secret d’affaires et nommez les titulaires. Prévoyez ensuite la cession : écrite, limitée et précise. Autorisez, par exemple, un usage interne ; interdisez la diffusion externe.
Incluez une clause de remontée d’informations. Toute amélioration réalisée par un prestataire doit vous revenir sous licence exclusive. Ajoutez un audit périodique pour contrôler l’usage des prompts et ordonner la suppression des copies illicites. Une clause pénale renforce cet audit.
Pensez aussi aux métadonnées. Des balises invisibles ou des micro-signatures facilitent la détection d’une reprise. Apposez une preuve horodatée, par blockchain ou tiers de confiance, pour consolider votre dossier.
Combinées à une politique de confidentialité, ces mesures contractuelles transforment vos prompts en actifs valorisables et rassurent investisseurs et partenaires.
Les solutions juridiques ne remplacent pas la stratégie opérationnelle. Formez vos équipes au prompt engineering. Désignez un responsable des actifs immatériels et suivez un tableau de bord des créations internes.
Conclusion
La propriété des prompts dépend d’un trio : droit d’auteur, secret d’affaires et futur IA Act. Leur articulation reste délicate. Un prompt créatif relève du droit d’auteur. Pour aller plus loin, sensibilisez vos équipes et mettez en place une gouvernance interne des droits. Cette démarche proactive valorisera votre entreprise lors d’une due diligence. En cas de doute, sollicitez un conseil spécialisé sans tarder et renforcez votre position concurrentielle.
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RESSOURCES :
- US Copyright Office, « AI Initiative », portail officiel, mise à jour 2025.
- Parlement européen, Étude PE 2025 « Generative AI & Copyright ».
- Directive UE 2016/943 transposée