Les indications géographiques (IG) ne sont plus des parentes pauvres du droit des marques. Depuis 2019, l’antériorité et l’évocation bloquent toute marque qui tenterait de capter la réputation d’un terroir. Comprendre ces deux notions clés vous aide à sécuriser vos projets de nom et à défendre la valeur de vos produits.
1) Antériorité : la date qui décide tout
D’abord, la chronologie prévaut. Une IG – qu’il s’agisse d’une AOP, d’une IGP, d’un label artisanal homologué par l’INPI ou d’une appellation reconnue par l’Arrangement de Lisbonne – constitue un droit antérieur dès le dépôt de sa demande. Peu importe que l’enregistrement intervienne plus tard : la protection « remonte » à la date de dépôt. La Cour de justice de l’Union européenne l’a confirmé dans l’affaire Bavaria (C‑120/08) : une marque postérieure doit céder, même si elle a été déposée avant la publication officielle de l’IG.
La règle vaut pour toutes les IG protégées par le droit de l’Union ou par le droit français. Un porteur de projet qui envisage de déposer une marque doit donc vérifier :
- la base eAmbrosia pour les AOP et IGP agroalimentaires et vinicoles ;
- le registre INPI des IG industrielles et artisanales ;
- les bulletins de l’OMPI pour les appellations internationales. Un simple clic peut éviter un refus coûteux ou, pire, une action en nullité plusieurs années plus tard.
Cependant, la chronologie n’est pas toujours limpide. Certaines IG anciennes ont connu des réenregistrements successifs. Dans le doute, considérez la date la plus ancienne publiée. Prudence et veille juridique restent la meilleure assurance.
2) Évocation, usurpation, confusion : un filet élargi pour les indications géographiques
L’atteinte ne se limite plus à la copie servile. Le Code de la propriété intellectuelle, calqué sur les règlements européens 1151/2012, 1308/2013 et 2019/787, dresse quatre scénarios :
- Utilisation directe ou indirecte d’une indication géographique pour des produits comparables (ex. « fromage Beaufort style » pour un ersatz industriel).
- Usurpation, imitation ou évocation: le signe suggère l’indication géographique, même avec des mentions du type « façon », « genre » ou « type ». La CJUE a admis l’évocation sans proximité phonétique ni visuelle (Scotch Whisky/Glen Buchenbach, C‑44/17) et même via de simples images (Queso Manchego, C‑614/17).
- Indications fausses ou fallacieusessur l’origine, la nature ou les qualités essentielles.
- Pratiques trompeuses susceptibles d’induire le consommateur en erreur.
Par conséquent, la marque n’a pas besoin de reprendre l’indication géographique pour être illicite. Il suffit que le consommateur pense au produit protégé. Ce critère, strictement objectif, dépasse le risque de confusion classique du droit des marques.
3) Une protection de l’indication géographique qui s’étend aux services et aux autres spécialités
Certains offices – en particulier l’EUIPO – hésitent encore. Ils limitent parfois l’évocation aux seuls produits « comparables ». La Cour de justice a coupé court dans l’arrêt Champanillo (C‑783/19). Désormais, une AOP peut bloquer une marque utilisée pour des services de restauration si celle‑ci parasite sa réputation. Le message est clair : toute utilisation commerciale qui attire l’attention sur l’indication géographique, même pour des produits différents, tombe sous le coup de la loi.
Enfin, la protection couvre les indications géographiques artisanales françaises créées en 2014 (porcelaine de Limoges, siège de Liffol, etc.). Le législateur a copié le modèle agricole : usurpation, évocation, pratiques trompeuses, tout est prohibé.
4) Opposer ou annuler une marque : mode d’emploi
En premier lieu, l’opposition. Depuis 2020, un producteur, un organisme de défense ou l’INAO peut déposer une opposition à l’INPI dans un délai de deux mois après la publication de la demande. Pour l’Union européenne, la même règle vaut devant l’EUIPO. L’acte d’opposition doit démontrer :
- l’existence de l’IG (publication ou cahier des charges homologué) ;
- la comparabilité des produits ou l’exploitation de la réputation ;
- l’évocation ou la tromperie.
Puis, l’annulation. Si la marque est déjà enregistrée, la procédure d’annulation devant l’INPI ou l’EUIPO reste ouverte pendant toute la vie de la marque. Le demandeur doit prouver les mêmes éléments. Le coût est modéré comparé à une action judiciaire.
Pour terminer, la surveillance. Les producteurs doivent mettre en place une veille sur les bulletins officiels. Un dépôt problématique détecté tôt se traite vite et à moindre frais.
Conclusion
Le tandem antériorité‑évocation forme un bouclier robuste. Vérifiez toujours les bases d’IG avant de choisir votre marque. Veillez ensuite aux nouvelles publications. Réagissez vite en cas de dépôt litigieux. Vous protégerez ainsi la réputation de votre terroir et éviterez des litiges longs et coûteux.
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RESSOURCES :
- Code de la propriété intellectuelle, art. L. 711‑3 et L. 722‑1
- CJUE, 22 décembre 2010, Bavaria (C‑120/08)
- CJUE, 7 juin 2018, Scotch Whisky Association (C‑44/17)
- CJUE, 2 mai 2019, Queso Manchego (C‑614/17)
- CJUE, 9 septembre 2021, Champanillo (C‑783/19)