Le 22 mai 2025, la cour d’appel de Chambéry (n° 22/01814) a confirmé la condamnation de Google pour avoir créé, sans autorisation, une fiche Google My Business (GMB) au nom d’une dentiste. Données personnelles non consenties, avis clients non vérifiés et secret médical impossible à préserver : les juges sanctionnent une plateforme qui privilégie son modèle publicitaire au détriment du droit fondamental à la protection des données. Décryptage d’un arrêt appelé à faire jurisprudence pour tous les praticiens de santé – et au-delà.
1. Fiches GMB : un outil marketing, pas un service d’information neutre
Google présente ses fiches My Business comme un simple moyen « d’aider les internautes à trouver un professionnel ». Dans les faits, chaque fiche affiche :
- nom, spécialité et adresse ;
- numéro de téléphone et itinéraire ;
- avis, notes et questions-réponses.
Or la fiche de Mme [C] a été générée automatiquement : aucun contrat, aucun clic d’acceptation, aucun contrôle sur la mise en ligne. Pour gérer ou répondre aux avis, la dentiste devait créer un compte Google, acceptant ainsi les conditions d’utilisation, les cookies et l’écosystème publicitaire du géant californien. La cour relève donc une finalité commerciale masquée : la visibilité gratuite attire les professionnels dans un système rémunéré par la publicité ciblée.
2. Le RGPD s’applique, même aux données « publiques »
Google soutenait que les informations reprises (nom, cabinet, téléphone) étaient déjà publiques sur les pages jaunes ou le site de l’Ordre des chirurgiens-dentistes. Faux, rétorquent les juges :
- Données personnelles : un nom associé à une profession et à une adresse identifie directement la personne (RGPD, art. 4).
- Traitement : création, indexation et affichage d’une fiche sont autant d’opérations couvertes par le règlement.
- Base légale : faute de consentement et d’intérêt légitime prouvé, le traitement est illicite (art. 6).
L’intérêt légitime invoqué – informer le public – ne résiste pas à l’analyse : Google omet de mentionner la monétisation indirecte et ne propose aucun contrôle préalable à la personne concernée. Résultat : données professionnelles = données personnelles dès lors qu’un individu privé peut être identifié et évalué.
3. L’effet “avis en ligne” : un déséquilibre manifeste
Les avis négatifs non vérifiés ont un poids démesuré : un seul commentaire à une étoile peut faire chuter la moyenne et dissuader des patients. Mme [C] se heurte à trois obstacles :
- Authenticité douteuse : impossible de savoir si l’auteur est réellement un patient.
- Secret médical : le praticien ne peut répondre sans risquer de divulguer des informations confidentielles.
- Prescription déontologique : la publicité personnelle est interdite aux chirurgiens-dentistes en France.
La cour d’appel constate un déséquilibre manifeste : Google tire profit des avis pour accroître sa base de données, tandis que le professionnel n’a ni la main sur la fiche, ni les moyens de rétablir la vérité. Ce déséquilibre annihile toute prétention d’intérêt légitime au sens du RGPD.
4. Droit à l’effacement : un rappel salutaire pour les plateformes
En vertu de l’article 17 (droit à l’effacement), la cour ordonne la suppression pure et simple de la fiche GMB, assortie d’une astreinte. Elle octroie également 10 000 € de dommages-intérêts pour le préjudice moral (atteinte à la réputation, stress, perte de confiance). Les prétentions fondées sur le dénigrement et le parasitisme commercial sont écartées : Google, en tant qu’hébergeur, n’a pas encouragé activement les commentaires malveillants et aucun chiffre d’affaires détourné n’est démontré.
Message clé : même s’il est plus simple de masquer ou de “fermer” une fiche, la suppression reste possible lorsque le traitement initial est dépourvu de base légale solide.
5. Ce qu’il faut retenir
L’arrêt de Chambéry sonne comme un coup de semonce : les outils de visibilité numérique ne peuvent s’imposer aux professionnels sans leur consentement explicite. Pour Google, la décision rappelle que la collecte massive de données – même « publiques » – doit respecter le RGPD. Pour les praticiens de santé, elle offre une voie de recours rapide : le juge français n’hésite plus à ordonner l’effacement total d’une fiche litigieuse et à indemniser le préjudice moral. Un signal fort pour rééquilibrer la relation entre géants du Net et individus — et une victoire de la protection des données personnelles sur la logique de l’économie de l’attention.
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