Bonne nouvelle pour les victimes de propos diffamatoires publiés sous couvert d’anonymat : depuis un arrêt majeur de la Cour de cassation du 26 février 2025 (n° 23-16762), il devient possible d’obtenir la suppression judiciaire d’un message même lorsque l’auteur reste introuvable. Confronté à l’impossibilité d’organiser un débat contradictoire, le juge pourra ordonner l’effacement du contenu, privant ainsi les diffamateurs d’un refuge numérique. Décryptage d’une avancée qui rééquilibre enfin la liberté d’expression et la protection de la réputation.
1. Le casse-tête de l’identification des auteurs anonymes
Pour les particuliers et les entreprises, le parcours était jusqu’ici semé d’embûches. Depuis un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 6 octobre 2020, la conservation des données de connexion est strictement encadrée : seuls les crimes ou délits les plus graves justifient désormais que l’on trace l’adresse IP ou le port de connexion. Or, diffamation et injure ne sont plus punies que d’amendes ; elles échappent donc au régime permettant d’identifier l’auteur via les fournisseurs d’accès Internet.
Résultat : lorsque l’auteur utilise de fausses données « administratives » (nom, e-mail, adresse) ou navigue derrière un VPN qui masque son IP, les autorités comme les plateformes se déclarent impuissantes. La victime ne peut alors qu’envoyer une notification de contenu illicite à l’hébergeur (procédure LCEN), souvent sans succès si l’auteur n’est pas clairement identifié. Cette situation créait une zone d’impunité et décourageait les recours, laissant les contenus nuisibles prospérer dans les moteurs de recherche.
2. Ce que change l’arrêt de la Cour de cassation du 26 février 2025
L’arrêt rendu par la première chambre civile vient rompre ce cercle vicieux. Les faits : plusieurs vidéos YouTube accusaient – anonymement – des personnalités proches de la principauté de Monaco de corruption. Plainte, requêtes d’identification, données tronquées : impossible de savoir qui se cachait derrière le compte, manifestement créé avec une adresse e-mail fantaisiste et un VPN. Les juges du fond avaient refusé de retirer les vidéos au nom du respect du contradictoire : sans auteur, pas de débat, donc pas de suppression.
La Cour de cassation casse cette décision : lorsqu’il est objectivement impossible d’identifier le créateur du contenu, l’hébergeur ne peut plus invoquer la liberté d’expression comme bouclier automatique. En clair : « Celui qui choisit l’opacité ne peut exiger le débat contradictoire qu’il a lui-même rendu impraticable ». Le juge doit alors apprécier si la suppression est proportionnée à l’atteinte subie. Dans l’affaire, la diffusion mondiale de vidéos diffamatoires justifiait un retrait pur et simple.
3. Un équilibre entre liberté d’expression et protection de la réputation
La décision s’inscrit dans la droite ligne des positions récentes de la CJUE (arrêts d’avril et octobre 2024) : la lutte contre l’impunité numérique peut primer sur la conservation des données lorsque l’ordre public ou les droits d’autrui sont menacés. Concrètement :
- Liberté d’expression : elle demeure protégée, mais l’auteur doit pouvoir démontrer la véracité de ses propos ou sa bonne foi. Faute de s’identifier, il renonce à cette défense.
- Proportionnalité : le juge vérifie que la suppression est la mesure la moins attentatoire aux droits fondamentaux. Si un floutage ou une anonymisation suffisait, il pourrait l’ordonner ; mais en présence de diffamation manifeste, l’effacement reste l’option la plus sûre.
- Responsabilité de l’hébergeur : la plateforme doit conserver des données « de nature à permettre l’identification ». Si elles sont fausses ou inexistantes, elle ne peut se retrancher derrière l’irresponsabilité ; à défaut de débat contradictoire, la balance penche vers la victime.
Cette approche pragmatique ferme la porte au « forum-shopping » des calomniateurs, qui misaient sur la lenteur des procédures et l’illisibilité du droit pour rester hors d’atteinte.
4. Conseils pratiques pour agir face à des contenus diffamatoires
Conservez les preuves
Faites des captures d’écran horodatées (contenu, URL, date) ou recourez à un constat d’huissier en ligne. Ces pièces seront indispensables pour qualifier juridiquement les propos et démontrer l’urgence.
Utilisez la notification RSN
Notifiez l’hébergeur via son formulaire ou par courrier recommandé. Indiquez précisément les passages diffamatoires, la date de mise en ligne et le fondement juridique (diffamation, injure, dénigrement…). L’hébergeur doit agir « promptement ».
Réagir vite pour contourner la courte prescription
Les infractions de presse se prescrivent en 3 mois. Engagez, si nécessaire, une procédure accélérée au fond devant le tribunal judiciaire. Depuis l’arrêt du 26 février 2025, la demande de suppression n’exige plus d’identification préalable lorsque celle-ci est impossible : un atout décisif pour des contenus anonymes.
Vérifier la proportionnalité
Préparez votre argumentaire : atteinte à la réputation, impact financier, diffusion virale. Plus le dommage est grave, plus le retrait intégral est justifié. Mentionnez l’impossibilité d’obtenir les données de connexion ; c’est désormais un point clé pour convaincre le juge.
Faites-vous assister
Un avocat peut formuler la notification pour maximiser vos chances et, le cas échéant, saisir rapidement le juge des référés. Le cabinet Deshoulières Avocats accompagne régulièrement des entreprises et des particuliers dans ce type de contentieux.
5. Ce qu’il faut retenir
En consacrant un droit à la suppression des propos diffamatoires lorsque l’auteur se cache derrière l’anonymat, la Cour de cassation rétablit un équilibre longtemps rompu. Finies les vidéos ou les tweets calomnieux qui prospèrent faute de contradictoire : l’anonymat ne sera plus un bouclier d’impunité. Pour les victimes, cette décision ouvre une voie de recours plus simple et plus rapide ; pour les hébergeurs, elle rappelle l’importance de collecter des données d’identification fiables. Un tournant majeur pour un Internet plus responsable.
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