Peut‑on librement détourner les icônes du luxe pour créer une œuvre de pop art ? Le tribunal judiciaire de Paris, dans un jugement du 2 avril 2025 (n° 23/04114), vient de tracer une ligne rouge : un artiste qui avait reproduit des montres Rolex dans sa collection « 3D Watches » voit sa liberté d’expression artistique cadrée par le droit des marques et la lutte contre le parasitisme commercial. Décryptage, en langage clair, de cette affaire emblématique qui intéresse autant les créateurs que les entreprises soucieuses de protéger leur image.
1. Des sculptures pop qui reprennent les codes d’une marque culte
L’artiste mis en cause avait imaginé des œuvres en trois dimensions représentant des modèles mythiques de la maison Rolex – Yacht‑Master, Milgauss, GMT‑Master – ainsi que la fameuse couronne et le nom « Rolex ». D’abord exposées dans des galeries, ces sculptures ont ensuite été abondamment promues sur les réseaux sociaux via photos, vidéos et un clip marketing. Les fans de montres de luxe se régalaient ; la marque, elle, a vu rouge.
Ce que la justice a confirmé
- Marques notoires : le mot « Rolex » et le logo couronne bénéficient d’une renommée incontestable.
- Modèles non « notoires » : étonnamment, la réputation spécifique des modèles de montres invoqués n’a pas été reconnue comme telle par le tribunal. Seules les marques verbale et figurative sont jugées célèbres.
Pourquoi c’est important
Une marque notoire jouit d’une protection extra‑large : nul besoin de prouver un risque de confusion pour interdire toute exploitation indue. Les créateurs qui s’approprient ces symboles doivent donc redoubler de prudence.
2. Liberté de création artistique : un bouclier… qui a ses limites
ace aux accusations de contrefaçon, l’artiste a brandi le principe fondamental de liberté d’expression artistique. Les juges lui reconnaissent en partie ce droit : employer le mot « Rolex » dans le titre d’une œuvre peut constituer un clin d’œil culturel relevant de la liberté créative.
Là où ça coince
Le tribunal observe que la communication autour des œuvres – posts Instagram, vidéos promotionnelles, hashtags racoleurs – cherchait clairement à capturer la notoriété de la marque pour booster les ventes. Dans ce contexte, la reproduction pure et simple des signes Rolex devient un usage non loyal dans les affaires industrielles et commerciales :
- Le public pertinent (amateurs de montres de luxe) peut croire à un partenariat officieux.
- L’artiste tire un avantage concurrentiel direct de l’aura de Rolex.
Résultat : la liberté artistique cède devant la protection des marques lorsqu’il existe un objectif d’auto‑promotion commercial.
3. Parasitisme : surfer sur le prestige d’autrui peut coûter cher
Au‑delà de la contrefaçon, la société Rolex a également poursuivi l’artiste pour parasitisme, c’est‑à‑dire le fait de se placer délibérément dans le sillage d’une entreprise réputée afin de profiter, sans contrepartie, de ses investissements et de son prestige.
Les arguments retenus par le tribunal
- L’artiste « multiplie les références » à Rolex : publications répétées, descriptions de produits, visuels reprenant la couronne.
- Les acheteurs d’art peuvent croire à une collaboration officielle, ce qui entretenait une confusion sur l’origine commerciale et la caution de Rolex.
- Les ventes ont été facilitées par la célébrité de la marque ; l’artiste a donc bénéficié d’un effet de halo non mérité.
Dommages et intérêts : moraux plutôt que financiers
Curieusement, la contrefaçon n’a pas occasionné de perte économique démontrable pour Rolex (pas de baisse des ventes, pas de détournement de clientèle). Le tribunal indemnise donc uniquement le préjudice moral : dilution et banalisation de la marque, atteinte à son exclusivité. Une leçon : en propriété intellectuelle, le prestige a une valeur propre, même sans chiffre d’affaires perdu.
4. Les enseignements pratiques pour les créateurs et les marques
Pour les artistes et designers
- Évaluez le risque : détourner un logo célèbre dans une œuvre purement conceptuelle est moins risqué qu’en faire un produit destiné à la vente de masse.
- N’allez pas au‑delà du clin d’œil : évitez la reproduction fidèle du signe pour votre marketing. Préférez l’allusion, la parodie ou la transformation suffisamment éloignée.
- Séparez l’œuvre et la promo : votre stratégie réseaux sociaux doit rester distincte de la marque évoquée. Mentionnez‑la uniquement de façon descriptive, pas comme argument de vente.
Pour les marques de luxe
- Cartographiez vos actifs : identifiez logos, signatures, coloris, formes emblématiques susceptibles d’être détournés.
- Surveillez le web : robots de veille et alertes permettent de repérer rapidement un usage non autorisé sur TikTok, Instagram ou dans les NFT.
- Réagissez de façon graduée : dialogue amiable, lettre de mise en demeure, puis actions en contrefaçon et parasitisme si l’atteinte persiste.
- Documentez le préjudice moral : capture d’écran, sondages, articles de presse, pour démontrer dilution et banalisation.
Le rôle clé de l’avocat en propriété intellectuelle
Que vous soyez créateur ou titulaire de droits, un avocat spécialisé en droit des marques et en droit d’auteur :
Défend vos intérêts en justice pour obtenir interdictions, réparations ou mesures douanières.
Vous aide à évaluer la frontière entre hommage artistique et contrefaçon.
Négocie des licences ou des collaborations officielles pour sécuriser un projet pop art.
Le jugement du tribunal judiciaire de Paris rappelle que la liberté de création n’est pas une zone de non‑droit – surtout lorsque les œuvres recyclent des symboles commerciaux ultra‑prestigieux comme Rolex. Les artistes doivent veiller à ne pas transformer une référence culturelle en argument de vente trompeur. Les marques, elles, disposent d’outils solides pour protéger leur réputation contre la dilution et le parasitisme.
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