La durée des droits d’auteur sur une création fixe les règles du jeu économique et culturel. La connaître, c’est sécuriser ses projets, prévenir la contrefaçon et saisir les opportunités qu’offre le domaine public.
La logique de la durée des droits d’auteur : histoire et principe d’équilibre
Le droit d’auteur, né d’un long dialogue entre pouvoir, créateurs et public, a beaucoup évolué. Sous l’Ancien Régime, le roi accordait aux libraires des privilèges d’impression valables de deux à vingt ans : l’éditeur était couvert, l’écrivain non. En 1777, des lettres patentes reconnaissent enfin une forme de propriété littéraire « à perpétuité », mais la Révolution change la donne.
La loi du 19 juillet 1793 garantit à l’auteur l’exclusivité toute sa vie, puis dix ans à ses héritiers. La durée des droits d’auteur protège les enfants mineurs mais se révèle vite insuffisant. Au XIXᵉ siècle, les sociétés d’auteurs revendiquent des droits plus longs. La Convention de Berne (1886) fixe un minimum international de cinquante ans post mortem auctoris, laissant chaque État libre d’aller plus loin.
Au XXᵉ siècle, la France passe de cinquante à soixante ans (1985), puis à soixante-dix ans (1997) pour s’aligner sur la directive 93/98/CE. Chaque extension repose sur un même raisonnement. D’abord, l’auteur doit vivre décemment d’un métier incertain. Ensuite, l’éditeur a besoin de temps pour amortir son investissement. Enfin, le public doit finir par accéder gratuitement à l’œuvre. Trop courte, la protection décourage la création ; trop longue, elle gêne la diffusion et la réutilisation. Les durées légales cherchent donc, époque après époque, un équilibre entre protection et partage.
Durée des droits d’auteur : soixante-dix ans post mortem pour les droits patrimoniaux
L’article L.123-1 du Code de la propriété intellectuelle pose la règle : les droits patrimoniaux cessent soixante-dix ans après la mort de l’auteur, calculés à partir du 1ᵉʳ janvier suivant le décès. Pour un romancier disparu le 14 juin 1980, la protection s’achève le 1ᵉʳ janvier 2051.
Plusieurs correctifs existent.
- Pour une œuvre de collaboration, le délai court après le décès du dernier coauteur.
- Pour une œuvre anonyme ou signée d’un pseudonyme, on compte soixante-dix ans à partir de l’année de publication, sauf si l’auteur se révèle entre-temps.
- Les œuvres posthumes bénéficient d’une exclusive de vingt-cinq ans lorsqu’elles sont divulguées pour la première fois après la mort de l’auteur ; cette période se fond dans la durée générale lorsque l’œuvre est publiée assez tôt.
Deux prorogations spéciales subsistent. La « prorogation de guerre » ajoute jusqu’à quatorze ans et 184 jours pour compenser les deux conflits mondiaux. Le statut « Mort pour la France » prolonge la protection de trente ans. Les œuvres de compositeurs disparus au front restent donc protégées cent ans.
Les droits voisins suivent un calendrier parallèle : depuis 2015, la France accorde soixante-dix ans aux enregistrements sonores, cinquante ans aux prestations audiovisuelles. À l’international, la règle de la « durée la plus courte » (Convention de Berne, art. 7 § 8) impose de vérifier la loi du pays d’origine avant de conclure qu’une œuvre est libre.
Le droit moral : un gardien sans limite de temps
Le droit moral, défini à l’article L.121-1, est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Il comporte quatre prérogatives.
- Le droit de divulgation permet de choisir le moment et la forme de la première publication.
- Le droit de paternité impose de citer le nom de l’auteur.
- Le droit au respect protège l’œuvre contre les dénaturations. Le droit de repentir ou de retrait autorise, sous indemnité, une correction ou un retrait même après cession des droits patrimoniaux.
Ces prérogatives se transmettent aux héritiers. Les tribunaux arbitrent les litiges en recherchant la volonté authentique de l’auteur. L’arrêt « Victor Hugo » (Cass. 1re civ., 30 janv. 2007) rappelle que les ayants droit peuvent s’opposer à une suite littéraire si elle dénature clairement l’œuvre originale, mais la liberté de création reste protégée.
Pour les œuvres orphelines, la directive 2012/28/UE autorise bibliothèques et archives à exploiter des œuvres introuvables après « recherches diligentes », sous réserve de verser une compensation si un titulaire se manifeste.
À l’ère numérique, les ayants droit invoquent de plus en plus le droit moral pour exiger le respect des couleurs, des proportions ou du contexte sur les réseaux sociaux. Les plateformes développent donc des outils de crédit automatique pour réduire le risque de litige.
Domaine public et utilisateurs : liberté créative, mais vigilance
Au terme de la durée des droits d’auteur, l’œuvre entre dans le domaine public. Chacun peut la copier, la traduire, l’adapter ou la vendre sans redevance : les éditeurs réimpriment Balzac, les orchestres enregistrent Mozart, les studios réinventent Sherlock Holmes. La directive 2019/790, transposée en 2021, précise qu’une reproduction fidèle d’une œuvre visuelle tombée dans le domaine public ne recrée pas un nouveau droit d’auteur. Un scan haute définition d’un tableau de Van Gogh reste donc libre. Cette règle combat le copyfraud, pratique qui consiste à revendiquer un droit inexistant sur un fichier numérique.
Le domaine public reste toutefois encadré. Le droit moral subsiste : l’auteur doit être cité, l’œuvre respectée. La justice a ainsi retiré du marché des bronzes imitant Rodin vieillis artificiellement pour tromper l’acheteur. Le droit de la consommation impose, en outre, d’éviter la confusion : la mention « reproduction » demeure indispensable.
L’importation n’est pas toujours neutre. Une œuvre libre en Inde peut rester protégée en France, autorisant les ayants droit français à bloquer son entrée sur le marché. Vérifier la loi étrangère reste donc essentiel.
Malgré ces garde-fous, le domaine public offre un réservoir d’images, de récits et de mélodies. Une application mobile géolocalise les Fables de La Fontaine ; un jeu vidéo open source réinterprète Jules Verne ; une marque de prêt-à-porter réutilise des motifs Art nouveau. L’absence de redevance abaisse les barrières et nourrit l’innovation.
Conclusion
La durée des droits d’auteur est la charnière entre la sphère privée de la création et le patrimoine commun. En France, la protection économique s’étend en principe jusqu’à soixante-dix ans après la mort de l’auteur, sauf rares prorogations. Au-delà, l’œuvre rejoint le domaine public, accessible à tous sans redevance. Le droit moral, lui, ne s’éteint jamais ; il impose de citer le créateur et de respecter l’esprit de son travail. Avant de lancer un projet fondé sur des œuvres anciennes, identifiez la date de décès, vérifiez les éventuelles extensions et songez aux lois étrangères si vous visez un marché international. Consultez toujours un professionnel en cas de doute : un conseil en amont coûte moins cher qu’un procès.
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RESSOURCES :
- Code de la propriété intellectuelle, articles L.111-1, L.121-1, L.123-1, L.135-1 et suivants
- Directive 2006/116/CE du 12 décembre 2006 sur la durée de protection
- Directive 2019/790/UE du 17 avril 2019, article 14
- Cass. 1re civ., 30 janvier 2007, « Victor Hugo »