Le droit moral garantit à chaque créateur que son nom reste attaché à son œuvre, y compris lorsqu’il a cédé ses droits patrimoniaux. Ce droit comprend notamment la faculté de revendiquer sa paternité ; l’article qui suit explique concrètement ce que cette prérogative signifie, tant pour les auteurs que pour les exploitants de leurs œuvres.
1. Un socle international renforcé par le droit français
D’abord, la Convention de Berne impose depuis 1928 que « l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre ». Cette règle s’applique indépendamment de toute exploitation commerciale : vendre ou céder ses droits ne fait donc pas disparaître l’exigence de mentionner le nom du créateur. Le Code de la propriété intellectuelle (article L. 121-1) reprend ce principe en protégeant « le nom et la qualité » de l’auteur. Autrement dit, l’auteur peut exiger non seulement que son nom soit écrit sans erreur, mais aussi que ses titres, grades ou distinctions apparaissent clairement lorsque cela a du sens pour le public.
Ensuite, la jurisprudence rappelle que l’atteinte à la paternité concerne seulement l’usage de l’œuvre : il ne suffit pas qu’un nom soit utilisé en dehors de tout contexte créatif pour invoquer le droit moral. Le juge refuse donc de sanctionner, par exemple, la reprise d’un patronyme pour une boisson si aucun lien ne peut être fait avec l’œuvre protégée.
Cependant, quand l’œuvre est diffusée sans le nom de son auteur ou sous un nom usurpé, la violation est caractérisée, qu’il s’agisse d’un livre, d’une photographie ou d’une vidéo en ligne. Enfin, ce droit est perpétuel, inaliénable et imprescriptible : même plusieurs décennies après la première publication, les héritiers peuvent agir pour rétablir la mention du nom sur l’œuvre ou, en cas de contrefaçon, faire constater le plagiat.
2. Portée pratique de la mention du nom de l’auteur
Ensuite, la portée du droit à la paternité dépend du support et des usages professionnels.
- Pour les œuvres littéraires, le nom figure habituellement sur la page de couverture ou, à tout le moins, sur la page de titre ; l’auteur peut donc contester une présentation trop discrète qui ferait douter le public de son apport créatif.
- S’agissant des photographies, les usages admettent souvent un « crédit » global en fin d’ouvrage, à condition qu’il permette d’identifier précisément la paternité de chaque cliché. Cependant, lorsque le crédit collectif brouille l’attribution, les tribunaux sanctionnent l’éditeur.
- En matière audiovisuelle, le nom des coauteurs doit apparaître au générique et sur tout support commercial (DVD, plateforme de streaming). Le producteur ne peut éluder cette obligation en invoquant des contraintes techniques.
Cependant, lorsque l’œuvre première n’est qu’accessoire dans une nouvelle création – par exemple un monument filmé en arrière-plan ou un dessin visible quelques secondes dans un documentaire – les juges estiment parfois que la communication au public de l’œuvre n’est pas réalisée ; la mention du nom de son auteur n’est alors plus exigée.
Enfin, l’omission de la mention de l’auteur n’est pas justifiée par la notoriété de l’œuvre : même un classique célèbre doit citer son créateur s’il est reproduit dans une publicité ou un ouvrage scolaire.
3. Œuvres dérivées, composites ou collectives : qui doit être nommé ?
Cependant, la situation se complique lorsque plusieurs couches créatives se superposent.
- Dans une œuvre dérivée (traduction, arrangement, adaptation), le nouvel auteur dispose de son propre droit à la paternité, mais il doit parallèlement respecter celui de l’auteur de l’œuvre première. Ainsi, la traductrice d’un roman peut exiger la mention de son nom sur la couverture tandis que l’auteur original reste crédité.
- S’agissant des œuvres composites, qui incorporent matériellement une création antérieure (par exemple la reproduction d’une sculpture dans un film), les deux noms doivent apparaître si le passage repris est reconnaissable. Néanmoins, chacun ne revendique sa paternité que sur ce qu’il a réellement conçu : le compositeur d’une bande originale n’est pas coauteur de la musique préexistante simplement parce qu’elle est citée dans le film.
- À l’inverse, dans l’œuvre de collaboration – lorsque plusieurs personnes participent ensemble à la même création, comme un réalisateur et un scénariste – tous les coauteurs doivent être appelés dans l’action en justice lorsque l’un d’eux poursuit pour atteinte à la paternité, sauf si sa contribution est objectivement séparable.
- Enfin, pour l’œuvre collective (journal, base de données, site web dirigé par un promoteur), c’est ce dernier qui détient le droit moral sur l’ensemble, mais chaque contributeur identifiable peut se prévaloir du droit à la paternité pour sa partie.
4. Défis sectoriels et numériques : quelles bonnes pratiques adopter ?
Enfin, l’environnement numérique amplifie les risques d’omission ou de dilution du nom de l’auteur. La diffusion en ligne de milliers de visuels rend la mention individualisée complexe ; pourtant, le simple renvoi à un lien hypertexte ou à une page « crédits » générale n’est pas toujours suffisant. Pour sécuriser les publications web, il est recommandé d’intégrer le nom de l’auteur dans les métadonnées de l’image (IPTC), d’afficher le crédit à proximité immédiate du visuel et d’éviter les crédits collectifs indifférenciés.
Dans l’édition imprimée, la charte graphique doit prévoir un emplacement lisible pour le nom de chaque auteur ou photographe, même sur les supports promotionnels (affiches, dossiers de presse). Les musiciens veilleront, eux, à ce que leur nom figure sur les plateformes de streaming et les pochettes virtuelles.
Quant aux architectes, l’apposition de leur nom sur les plans est indispensable ; certains textes ou décisions leur reconnaissent même le droit de le faire figurer, de manière discrète, sur le bâtiment réalisé. Dans tous les cas, la bonne foi ne suffit pas : l’exploitant doit prendre des mesures concrètes pour assurer la visibilité du nom.
Deshoulières Avocats vous accompagne et vous conseille pour toutes vos questions en droit d’auteur.
RESSOURCES :
- Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, art. 6bis
- Code de la propriété intellectuelle, art. L. 121-1 à L. 121-4
- Cass. 1re civ., 3 avril 2007, n° 06-13.342
- Article « Droit moral de l’auteur » – Deshoulières Avocats