Le Digital Services Act (DSA) rebat les cartes pour le gaming européen. Trois axes dominent : nouvelles obligations des plateformes, contrôle renforcé des « très grandes » interfaces et sanctions dissuasives. Les éditeurs de marketplaces de jeux et de services multijoueurs doivent donc anticiper, sous peine d’amendes pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial.
1. Un cadre commun qui clarifie la responsabilité des acteurs
Le DSA (règlement 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques) modernise la directive 2000/31/CE dite « e-commerce ». Il confirme l’exonération de responsabilité des hébergeurs tout en imposant une « diligence raisonnable » (art. 14). Concrètement, Steam, Epic Games Store ou Xbox Live restent protégés lorsqu’un joueur diffuse du contenu illicite, mais seulement s’ils organisent une procédure de notice and action efficace.
Cette exigence s’ajoute à l’obligation d’informer clairement les utilisateurs (art. 16) et de publier un rapport annuel de transparence (art. 15). Elle concerne aussi les services intégrant un chat vocal ou un forum interne : la qualification d’hébergeur vaut dès qu’un espace de stockage est offert.
Dès lors, l’éditeur doit prévoir un canal de signalement accessible, traité « promptement » et assorti d’un feed-back motivé. Enfin, le principe du pays d’origine reste central : une plateforme établie en France répond d’abord au régulateur français, ce qui simplifie la mise en conformité transfrontière.
2. Des obligations du Digital Services Act ciblées pour l’écosystème gaming
Au-delà du socle commun, le DSA introduit des règles concrètes adaptées au gaming. D’abord, l’article 24 impose un point de contact unique, utile pour dialoguer avec les autorités et les joueurs. Ensuite, l’article 28 rend obligatoire un système interne de traitement des réclamations, gratuit et disponible dans la langue de l’utilisateur. Un joueur belge pourra donc contester un bannissement sans passer par un support anglophone.
Par ailleurs, l’article 30 encadre la publicité comportementale : Epic Games Store doit indiquer pourquoi un titre apparaît en recommandation et qui paie la promotion. Les plateformes accueillant des mineurs doivent, selon l’article 39, déployer « avec diligence » des paramètres de protection renforcée. Désactivation par défaut du chat public, limitation du ciblage publicitaire et double consentement parental pour les achats in-game.
Enfin, les systèmes de loot boxes (un objet virtuel que l’on achète – avec de l’argent réel ou une monnaie gagnée en jeu – pour obtenir, au hasard, une ou plusieurs récompenses numériques) ou de micro-transactions entrent dans le scope des « pratiques trompeuses » sanctionnables au titre de l’article 23 si l’information préalable fait défaut.
3. Très grandes plateformes de jeu : un niveau d’exigence supérieur établi par le Digital Services Act
Les services comptant plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels dans l’Union relèvent de la catégorie des très grandes plateformes en ligne (art. 33). Valve, Microsoft ou Sony pourraient y basculer si leur audience cumulée franchit ce seuil. Ces acteurs doivent mener, chaque année, une évaluation des risques systémiques (art. 34) : diffusion de discours haineux dans les chats, dépendance aux jeux d’argent simulés, exposition des mineurs aux contenus violents.
Ils doivent ensuite adopter des mesures d’atténuation proportionnées (art. 35) et confier un audit externe indépendant (art. 37). Le DSA leur commande aussi de divulguer « en temps réel » les bases de données publicitaires à la Commission et aux chercheurs agréés (art. 40).
Enfin, l’article 45 autorise le régulateur à exiger des ajustements techniques sous vingt-quatre heures en cas de manquement grave.
4. Sanctions, mise en conformité et opportunités stratégiques
Les manquements au DSA exposent à des amendes pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial (art. 52) et à des injonctions de suspension temporaire. Cependant, le texte ouvre aussi des opportunités commerciales. Les studios indépendants bénéficient d’un régime allégé : micro-entreprises et petites entreprises sont dispensées de plusieurs rapports (art. 19). Les plateformes qui prouveront une gouvernance « privacy by design » pourront transformer la conformité en argument marketing.
D’un point de vue opérationnel, il convient d’établir une cartographie des flux de données, de documenter le processus de modération et de planifier des tests d’intégrité algorithmiques. Les accords de licence avec les développeurs devront intégrer des clauses DSA, notamment sur le retrait de contenu illégal.
Enfin, une veille interne sur les décisions de la Commission reste indispensable : la liste des « très grandes plateformes » est révisée tous les six mois, et un service qui franchit le plafond doit notifier la Commission sous quinze jours (art. 33 §3).
Conclusion
Le Digital Services Act change la donne pour l’industrie du jeu vidéo. Il impose des démarches de transparence, de modération et de gouvernance des algorithmes, proportionnées à la taille de chaque plateforme. Les éditeurs qui agiront vite transformeront la contrainte réglementaire en avantage compétitif. Mieux vaut donc lancer, dès aujourd’hui, un audit de conformité centré sur la chaîne de publication des contenus, le ciblage publicitaire et la protection des mineurs.
Deshoulières Avocats vous conseille et vous accompagne, du diagnostic à la mise en œuvre opérationnelle du DSA, afin de sécuriser vos plateformes de gaming et valoriser vos actifs numériques.
RESSOURCES :
- Commission européenne, DSA package, digital-strategy.ec.europa.eu
- Commission européenne, « Digital Services Act – Impacts plateformes », digital-strategy.ec.europa.eu
- Règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif aux services numériques
- Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique
- Deshoulières Avocats, « Digital Services Act : quelles règles pour le marketing d’influence ? »