Le droit des marques s’est modernisé. Pourtant, de nombreuses entreprises ignorent encore quand un signe devient une contrefaçon ou comment réagir. Cet article pédagogique décrypte le délit d’usage illicite, éclaire les règles issues du « paquet marques » et livre des pistes concrètes pour sécuriser vos marques.
D’abord, rappelons la base. En France, les articles L. 713-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (CPI) interdisent l’usage non autorisé d’un signe identique ou similaire à une marque enregistrée. Ensuite, l’ordonnance du 13 novembre 2019, qui transpose la directive (UE) 2015/2436, a aligné notre droit sur le Règlement (UE) 2017/1001 relatif à la marque de l’Union européenne. Ces textes poursuivent un but clair : offrir une protection uniforme dans le marché intérieur.
Cependant, le titulaire ne peut pas tout interdire. Le monopole vise uniquement les actes « dans la vie des affaires », c’est-à-dire les usages commerciaux susceptibles de procurer un avantage économique. Vendre, importer, stocker ou faire de la publicité sous un signe litigieux entre donc dans le champ répressif. À l’inverse, un acte purement privé ou sans portée économique échappe à la sanction.
Le droit de l’Union façonne l’interprétation nationale. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) parle d’« harmonisation complète ». Ainsi, qu’il s’agisse d’une marque nationale ou d’une marque UE, les critères d’infraction restent identiques. La CJUE rappelle aussi qu’un dépôt à lui seul ne suffit pas : il faut un usage effectif pour qu’il y ait contrefaçon.
2) Quand parle-t-on d’« usage dans la vie des affaires » ?
Ensuite, la notion d’usage mérite un détour. Le délit suppose deux conditions cumulatives. Premièrement, le signe doit être exploité pour identifier des produits ou des services. Il faut donc un emploi « à titre de marque ». Par exemple, apposer le logo d’un concurrent sur l’emballage de ses propres articles constitue un usage illicite. En revanche, citer la marque pour décrire un produit authentique peut rester licite si l’on ne crée aucune confusion.
Deuxièmement, l’acte doit intervenir dans la vie des affaires. La CJUE explique qu’il suffit d’une activité visant un avantage économique, même indirect. Un particulier qui revend des volumes importants sur une plateforme peut donc tomber sous le coup de la loi. À l’inverse, un usage strictement domestique échappe à l’infraction.
Les tribunaux observent le contexte. Ils scrutent la fréquence des ventes, la présentation des annonces en ligne et la perception du consommateur moyen. Depuis l’affaire « Amazon/Louboutin », le juge vérifie si l’utilisateur raisonnablement attentif pense que la plateforme vend en son nom ou seulement héberge des vendeurs tiers. Si la frontière est floue, la plateforme peut être considérée comme utilisatrice du signe et voir sa responsabilité engagée.
3) Fonctions de la marque et risque de confusion : le cœur du litige de l’usage illicite de la marque
Cependant, l’identité ou la similitude du signe ne suffit pas toujours. Encore faut-il que l’usage illicite de la marque porte atteinte aux fonctions de la marque. La fonction essentielle est de garantir l’origine commerciale du produit. Lorsque le public risque de croire que le bien vient du titulaire alors qu’il provient d’un tiers, la confusion est établie et la contrefaçon caractérisée.
La jurisprudence européenne reconnaît aussi des fonctions dites secondaires : publicité, investissement, communication, qualité. Si un concurrent détourne la réputation d’une marque de luxe pour valoriser ses propres produits, il porte atteinte à la fonction d’investissement même sans confusion stricte. C’est le cas, par exemple, de parfums dits « inspirés » qui copient le nom ou le flacon d’une grande maison pour profiter de son aura.
La marque renommée bénéficie d’un bouclier renforcé. L’article L. 713-3 CPI permet de poursuivre l’usage d’un signe identique ou similaire sur des produits même non similaires, dès lors qu’il tire un profit indu de la notoriété ou lui porte préjudice. La CJUE exige toutefois qu’un « lien » soit établi dans l’esprit du public. Si le signe n’est perçu que comme une décoration sans référence à la marque célèbre, l’action échoue.
En pratique, les juges procèdent à une appréciation globale. Ils prennent en compte la similitude visuelle, phonétique et conceptuelle, la nature des produits, la notoriété de la marque et les circonstances de commercialisation. Ils n’exigent pas de prouver la mauvaise foi ; la contrefaçon est une responsabilité objective.
4) Sanctions et stratégies préventives pour l’entreprise
Enfin, que risque l’utilisateur non autorisé ? Sur le plan civil, le titulaire peut demander l’interdiction immédiate, la destruction des marchandises et des dommages-intérêts calculés sur le manque à gagner ou le profit réalisé. Depuis la réforme, le juge peut aussi ordonner la diffusion de la décision pour rétablir la réputation de la marque.
Des sanctions pénales existent lorsque l’usage est commis de mauvaise foi et à grande échelle : jusqu’à quatre ans d’emprisonnement et 400 000 € d’amende pour une personne physique. Les personnes morales encourent cinq fois ces montants.
Prévenir vaut mieux que guérir. Avant de lancer un produit, effectuez une recherche d’antériorités approfondie. Ensuite, déposez votre signe dans toutes les classes pertinentes et sur les principaux territoires d’exportation. Surveillez régulièrement les registres officiels et les marchés en ligne ; des outils d’alerte existent. En cas de doute, adressez une mise en demeure claire et documentée au potentiel contrefacteur. Si le litige persiste, privilégiez la voie amiable ou la médiation avant d’engager une action longue et coûteuse.
Conclusion
Le délit d’usage illicite sanctionne tout emploi commercial d’un signe qui porte atteinte aux fonctions d’une marque enregistrée. Identité ou similitude, usage dans la vie des affaires et risque de confusion restent les trois piliers de l’analyse. Une stratégie de dépôt complète, une veille continue et une réaction graduée protègent efficacement votre capital immatériel.
Deshoulières Avocats vous conseille et vous accompagne en droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies.
RESSOURCES :
- Code de la propriété intellectuelle, art. L. 713-1 à L. 713-3-1
- Règlement (UE) 2017/1001 sur la marque de l’Union européenne
- Directive (UE) 2015/2436 rapprochant les législations des États membres sur les marques
- CJUE, 22 décembre 2022, aff. C-148/21 et C-184/21, Louboutin/Amazon
- Ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 transposant le « paquet marques »