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Marques de vins et spiritueux, indication géographique, et loi Évin

Protéger une marque de vin ou d’alcool ressemble à un numéro d’équilibriste : il faut se démarquer sans tromper, séduire sans inciter à l’excès, informer sans heurter la santé publique. L’enjeu ? Concilier le Code de la propriété intellectuelle, la législation vitivinicole et la fameuse loi Évin. Cet article décrypte les points de friction et les bonnes pratiques qui en découlent.

Marques de vins et spiritueux, indication géographique, et loi Évin

En premier lieu, il convient de rappeler qu’une marque sert à identifier l’origine commerciale d’un produit. À l’inverse, l’appellation d’origine protégée (AOP) ou contrôlée (AOC) garantit un lien étroit entre le vin et son terroir. Ces deux signes poursuivent donc des objectifs complémentaires… mais parfois divergents. Lorsqu’un viticulteur dépose une marque composée d’une dénomination géographique (« Château Moulin des Cèdres » ou « Clos de la Tour »), il profite du prestige local tout en ajoutant un élément distinctif. C’est autorisé si, et seulement si, la récolte vient bien du lieu-dit mentionné ; sinon, la marque devient trompeuse et encourt la nullité.

L’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle refuse toute marque « dont l’usage est légalement interdit ». Or les règles AOC constituent un texte d’ordre public : un nom protégé ne peut donc jamais être privatisé par un seul opérateur, même si ce dernier possède tout le vignoble concerné. La jurisprudence « Romanée-Conti » l’a confirmé : impossible d’enregistrer l’appellation à titre exclusif, car une AOC reste un bien collectif.

Cependant, la Cour admet la marque complexe – appellation + élément distinctif – lorsque l’exploitant respecte son cahier des charges (« Champagne Dom Pérignon », « Châteauneuf-du-Pape » stylisé). Le signe conserve alors une fonction d’identification sans priver les autres producteurs de l’usage de l’appellation stricte. Pour éviter toute annulation, le déposant doit vérifier trois points :

  • origine réelle,
  • vinification sur place,
  • absence de risque de confusion avec une exploitation voisine.

2) Les limites imposées par l’indication géographique

Ensuite, les indications géographiques (IGP pour les vins, IG pour les spiritueux) agissent comme un bouclier supplémentaire. Le « paquet marques » européen de 2015 a fait de ces indications géographiques à la fois un motif absolu et relatif de refus : l’INPI, l’EUIPO ou l’OMPI doivent donc écarter d’office un dépôt reprenant une indication géographique pour des produits qui n’en bénéficient pas.

Concrètement, un producteur d’hydromel ne peut enregistrer « Cognac des Pyrénées » ; un distillateur écossais ne peut vendre « Armagnac Highland ». Même l’évocation phonétique est sanctionnée. La CJUE l’a rappelé dans l’affaire « Scotch Whisky » : un terme rappelant le Scotch, sans le copier, suffit à créer une association d’idées prohibée.

Ces règles s’appliquent aussi après l’enregistrement : une marque valide au départ peut devenir vulnérable si une IG postérieure obtient protection et démontre une atteinte. Prudence, donc, lors des extensions de gamme : mieux vaut réaliser une veille régulière des registres AOP, IGP et IG spiritueux.

Enfin, l’étiquetage renforce le dispositif. Le règlement 2019/33 interdit d’ajouter le nom d’une unité géographique plus petite que l’indication géographique – par exemple « Golfe de Saint-Tropez » pour un AOP Côtes-de-Provence – sans y être autorisé par le cahier des charges. La Cour de cassation a condamné un producteur pour ce seul motif, même si la marque était antérieure au décret français 2012-655. Moralité : avant de choisir un nom de cuvée, vérifiez toujours s’il figure dans le cahier des charges ou obtenez une modification officielle.

3) Loi Évin : la publicité des marques alcooliques sur le fil du rasoir

Cependant, protéger le signe n’est rien si l’on ne peut plus l’utiliser. Depuis 1991, la loi Évin encadre drastiquement toute communication en faveur des boissons alcooliques. Elle autorise la publicité uniquement sur des supports précis (presse adulte, affichage, Internet hors sites jeunesse, objets de service) et en limite sévèrement le contenu.

Ainsi, une annonce doit se cantonner à des informations factuelles : origine, composition, mode d’élaboration, distinctions, caractéristiques gustatives. Le moindre débordement vers un registre festif, sportif ou sexuel tombe sous le coup de l’interdiction. Les slogans « Un Ricard des rencontres » ou « Qui ose dire que jeunesse ne rime pas avec délicatesse ? » ont été censurés pour incitation implicite.

La notion de publicité indirecte complique encore la donne : un message vantant un produit non alcoolisé, mais rappelant une marque d’alcool (couleurs, typographie, logo), peut être jugé illicite. Dès qu’une marque de bière apparaît sur un maillot, les juges analysent le contexte : diffusion en France ? public visé ? ton laudatif ? Dans le doute, le CSA impose floutage ou cadrage serré lors des retransmissions sportives.

Internet n’échappe pas à la règle. Les réseaux sociaux sont autorisés… à condition de sécuriser l’accès aux majeurs et de bannir tout contenu viral incitant à la consommation. Un hashtag séduisant, une photo d’ambiance trop conviviale, et l’annonceur risque une amende pouvant atteindre 100 000 €.

Conseil pratique : établissez une charte interne conforme à l’article L. 3323-4 CSP, formez vos équipes marketing et soumettez chaque campagne à un conseil spécialisé avant diffusion. Le meilleur réflexe reste la sobriété : visuel du produit, terroir, accords mets-vin, rien de plus.

4) Anticiper les risques : stratégie de dépôt et d’usage

Enfin, la clé d’une protection efficace tient à l’anticipation. Déposez votre marque le plus tôt possible, en France et, si nécessaire, auprès de l’EUIPO. Procédez à une recherche d’antériorités : marques, AOP/AOC, IGP, noms de domaine et raisons sociales. Un signe disponible aujourd’hui peut devenir conflictuel demain ; inscrivez donc des clauses de révision dans vos contrats de licence et de distribution.

Ensuite, adaptez votre portefeuille : pour une cuvée confidentielle, préférez une marque fantaisiste ; pour un domaine historique, associez le nom du lieu à un patronyme ou à un terme distinctif. Gardez en tête la jurisprudence sur les homonymies : deux marques viticoles partageant un toponyme peuvent coexister si l’élément additionnel suffit à écarter la confusion et si chacune respecte les conditions de vinification séparée.

Sur le plan publicitaire, tenez un registre de vos supports ; conservez les preuves d’un ciblage adulte et d’un discours strictement informatif. En cas de contentieux, ces éléments démontreront votre bonne foi et limiteront les sanctions.
Enfin, surveillez activement vos signes : opposition à l’INPI, procédures EUIPO, actions en déchéance contre les marques parasites. Plus vite vous réagissez, moins le conflit coûtera.

Conclusion

D’abord, articulez clairement marque et indication géographique : pas d’appropriation de l’AOC, mais un élément distinctif solide. Ensuite, testez chaque étiquette et chaque campagne à la grille de la loi Évin : sobriété visuelle, message objectif, ciblage majeur. Enfin, faites de la veille votre routine : registres de marques, cahiers des charges d’AOP/IGP et jurisprudence évoluent sans cesse. En suivant ces trois réflexes, vous protégez votre identité tout en respectant un cadre juridique exigeant.

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