Vous avez découvert qu’un concurrent exploite un signe mensonger ? Bonne nouvelle : la loi vous autorise à demander la nullité de cette marque, sans limite de temps, devant l’INPI ou le tribunal. Cette procédure protège le consommateur et rétablit l’équité sur le marché. Voici, pas à pas, ce qu’il faut retenir pour préparer votre stratégie.
Pourquoi certaines marques restent contestables à vie
D’abord, le Code de la propriété intellectuelle liste des « motifs absolus » qui interdisent l’enregistrement d’un signe : atteinte à l’ordre public, caractère trompeur, usage d’une appellation protégée, appropriation d’un nom de commune ou d’un titre réglementé. Quand l’INPI laisse passer l’un de ces signes ou quand la tromperie apparaît plus tard, la marque devient vulnérable.
En outre, le législateur a voulu garantir la loyauté du commerce. Il a donc posé un principe clair : la nullité d’une marque illicite n’est soumise à aucun délai de prescription. La réforme « Loi Pacte » a même inscrit cette imprescriptibilité dans l’article L. 716-2-6.
En pratique, la forclusion pour tolérance ne joue pas contre un motif absolu ; le titulaire ne peut jamais se retrancher derrière l’ancienneté de son dépôt. De plus, le juge apprécie toujours la licéité du signe au jour où il statue. Une marque jadis acceptable peut tomber en contravention avec une nouvelle règle d’ordre public ou devenir trompeuse après évolution du marché. Le consommateur doit rester protégé en permanence, quel que soit l’âge du dépôt.
Qui peut agir en nullité de la marque et devant quelle juridiction
La question de la compétence dépend du terrain. Depuis avril 2020, toute personne – particulier, entreprise, association ou collectivité – peut déposer en ligne une requête en nullité auprès du directeur de l’INPI si l’action repose uniquement sur un motif absolu. La procédure est rapide, peu coûteuse et entièrement écrite ; elle convient donc aux consommateurs et aux ONG qui disposent de budgets limités.
Cependant, le tribunal judiciaire reste compétent dans deux cas : quand la nullité est soulevée en défense dans une action en contrefaçon ou quand elle se combine à un autre litige (concurrence déloyale, parasitisme, contrat de licence). De plus, la division d’annulation de l’EUIPO traite les marques de l’Union européenne sur la même logique : personne n’a à prouver d’« intérêt à agir » ; le contrôle poursuit un but d’intérêt général.
Concernant les entités publiques, elles disposent d’outils spécifiques. Les communes reçoivent une alerte gratuite de l’INPI dès qu’un dépôt reprend leur nom ; elles peuvent alors former opposition ou agir en nullité sur le fondement de l’article L. 711-4 h. Dans la pratique, Paris, Deauville, mais aussi le département du Finistère ont déjà obtenu l’annulation de signes captant abusivement leur notoriété.
Déroulement pratique de l’action en nullité de la marque
Puis vient le temps de la procédure.
- Devant l’INPI, le demandeur en nullité dépose un dossier motivé : exposé des faits, fondement juridique, pièces de preuve (publicités, études, sondages, décisions antérieures). Le titulaire dispose d’un délai de réponse ; un second échange peut avoir lieu avant que le directeur ne tranche.
- Devant le tribunal, la démarche suit les règles du contentieux civil : assignation, calendrier de conclusions, audience de plaidoirie.
Dans les deux configurations, la charge de la preuve incombe au demandeur ; il doit démontrer que le signe induit en erreur ou viole une interdiction absolue. Pour renforcer son dossier, il peut s’appuyer sur la DGCCRF, sur des décisions de l’Autorité de la concurrence ou sur une enquête d’usage. Ainsi, les exemples abondent : la nullité de « Doxycline » pour médicaments génériques, l’annulation de « Bain de Champagne » obtenue par le Comité Champagne, ou encore la série de décisions « Cheval Blanc » dans le secteur viticole. À chaque fois, le juge a recherché l’impact réel ou potentiel sur le comportement économique d’un consommateur « moyennement attentif ».
La procédure peut également s’inscrire en défense : le contrefacteur attaqué pour imitation d’un signe trompeur oppose la nullité de ce dernier et échappe ainsi à la condamnation, comme l’usager de la dénomination « Bononia » l’a fait contre « Bologna ».
Effets de la décision : droits et précautions après l’annulation
Enfin, la décision de nullité produit un effet absolu et rétroactif : la marque est réputée n’avoir jamais existé. L’INPI radie l’inscription, les licences disparaissent, et toute action fondée sur ce titre devient impossible.
Le titulaire peut toutefois continuer à utiliser le signe comme simple nom commercial ou dénomination descriptive ; il perd seulement le monopole issu du droit des marques. En conséquence, pour sécuriser votre victoire, pensez donc à demander, dans la même procédure, une interdiction d’usage sous astreinte si la poursuite du signe risque encore de tromper le public.
En parallèle, surveillez le registre : rien n’empêche le même opérateur de tenter un nouveau dépôt légèrement modifié. Enfin, n’oubliez pas la dimension communication : l’annulation d’un signe trompeur valorise votre marque, rassure vos clients et montre votre engagement pour un commerce loyal. Mettez ce succès en avant, tout en restant vigilant : une veille régulière sur les bases de l’INPI, de l’EUIPO et de l’OMPI demeure indispensable pour repérer à temps les dépôts litigieux.
Conclusion
La nullité de marque est l’arme centrale contre les signes trompeurs. Imprescriptible et ouverte à tous, l’action permet d’assainir le marché et de restaurer la confiance des consommateurs. Avant d’engager une procédure, rassemblez des preuves solides, choisissez la bonne voie (INPI ou tribunal) et anticipez l’étape d’exécution. Vous protégerez ainsi votre avantage concurrentiel tout en défendant l’intérêt général.
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RESSOURCES :
- Code de la propriété intellectuelle, art. L. 711-4, L. 716-2-6 et suivants
- Cour de cassation, com., 16 décembre 2014, « Notaires 37 »
- Cour de cassation, com., 13 octobre 2009, « Château Figeac »
- INPI, Guide pratique « Demander la nullité d’une marque », 2023
- Article « Collectivités territoriales : protéger son nom », Blog Deshoulières Avocat