La sélection d’un signe de marque paraît libre, pourtant le droit fixe plusieurs barrières invisibles. Emballages tricolores, armoiries nationales, noms de terroirs : autant de pièges que l’entrepreneur pressé peut ignorer. Comprendre quels sont les signes interdits protège votre image, votre budget et votre crédibilité.
1) Comprendre la logique des signes interdits : protéger le public et la loyauté des échanges
Toute réglementation sur la marque poursuit un double objectif. Elle garantit l’information loyale du consommateur et préserve le jeu d’une concurrence saine. Lorsqu’un signe suggère un lien officiel inexistant ou trompe sur l’origine d’un produit, la confiance du public s’effondre, et le marché se fausse. Le droit intervient alors pour restaurer l’équilibre aux travers des signes interdits.
En outre, la marque ne se réduit pas à un simple logo ; elle incarne la promesse du fabricant. Si cette promesse repose sur un symbole usurpé ou mensonger, la sanction tombe : refus d’enregistrement, nullité ou interdiction d’usage.
Le cadre international renforce cette vigilance. Les États ont uni leurs efforts dès la fin du XIXᵉ siècle pour empêcher que les emblèmes nationaux ou les poinçons officiels ne deviennent des arguments commerciaux détournés.
2) Article 6 ter de la Convention de Paris : emblèmes étatiques et marques, mode d’emploi
D’abord, l’article 6 ter de la Convention de Paris interdit l’enregistrement, sans autorisation, des armoiries, drapeaux et autres emblèmes d’État. Le mécanisme de ces signes interdits repose sur une notification : chaque pays transmet à l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) la liste des symboles qu’il souhaite protéger. Ainsi, le cercle de douze étoiles sur fond bleu, propriété du Conseil de l’Europe, figure dans la base « Article 6ter Express ».
Toute marque reprenant ou imitant ces éléments est rejetée, même si elle vise uniquement des services. La Cour de justice de l’Union européenne l’a confirmé : l’interdiction s’étend aux marques de produits et de services, car la Convention fixe un socle minimal que l’Union renforce. Cependant, l’impasse n’est pas totale. Un déposant peut obtenir une autorisation expresse de l’autorité compétente, comme l’a montré le Yacht-Club de France pour son guidon tricolore. Encore faut-il convaincre que l’usage ne trompera personne.
Néanmoins, la jurisprudence nuance. Les juges examinent la perception globale du signe. Un coq stylisé bleu-blanc-rouge peut passer le filtre si ses éléments se détachent nettement du drapeau officiel et n’évoquent pas un organisme public précis. En revanche, l’emploi d’armoiries royales, même anciennes, sans feu vert étatique, reste voué à l’échec.
3) Indications géographiques trompeuses et Accord ADPIC : le cas particulier des vins et spiritueux
Ensuite, le système international cible une autre catégorie de signes sensibles : les indications géographiques. L’Accord ADPIC, intégré à l’Organisation mondiale du commerce, impose aux États de refuser ou d’annuler toute marque qui suggère une origine fausse. Le raisonnement est simple : un lieu réputé confère une qualité perçue. L’exploiter sans lien réel revient à capter indûment cette valeur.
- L’article 22 réserve ce traitement à tous les produits.
- L’article 23 durcit encore la règle pour les vins et spiritueux : l’office marque doit refuser l’enregistrement même si le consommateur averti ne risque pas de se tromper.
L’objectif est la protection absolue de dénominations comme « Champagne » ou « Tequila ». Ainsi, la Cour d’appel de Paris a annulé plusieurs marques qui véhiculaient le mot « Champagne » translittéré en cyrillique. Les juges y ont vu une exploitation injustifiée du prestige viticole français. Le Tribunal de l’Union européenne a, de son côté, bloqué la marque « Lembergerland » en raison du toponyme sud-africain « Lemberg », officiellement déclaré indication géographique.
Les offices examinent aussi les services. La marque « Darjeeling » déposée pour l’édition d’ouvrages a été partiellement annulée : même sans vendre de thé, l’éditeur profitait de la renommée d’un terroir emblématique.
4) Bonnes pratiques pour sécuriser votre dépôt de marque
D’abord, investiguez avant de créer. Une recherche d’antériorités ne suffit pas ; vérifiez la base « Article 6ter Express » et les registres d’indications géographiques protégées. Vous éviterez ainsi un rejet administratif coûteux.
En second lieu, adoptez une distance graphique suffisante lorsque vous jouez avec des couleurs nationales. Trois bandes bleu-blanc-rouge alignées rappellent le drapeau ; une composition diagonale ou un jeu d’ombres limite le risque, à condition de ne pas suggérer l’autorité de l’État. Cependant, restez cohérent avec votre positionnement : une allusion lourde à la souveraineté peut brouiller votre message.
Enfin, si votre activité s’enracine dans un lieu prestigieux, valorisez-le par un storytelling clair plutôt que par une mention litigieuse. Privilégiez des expressions évocatrices, distinctes des appellations protégées. Vous protégerez votre image et éviterez les procédures.
Conclusion
Choisir un signe de marque ne relève pas d’un simple goût esthétique. Le droit filtre les symboles officiels et les indications géographiques pour préserver la loyauté commerciale. Anticipez ces contraintes. Écartez les emblèmes étatiques sans autorisation et vérifiez l’origine réelle que vous affichez. Ainsi, vous consoliderez votre stratégie de marque et éviterez des litiges longs et coûteux.
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RESSOURCES :
- Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, article 6 ter
- Accord sur les ADPIC, articles 22 et 23
- Base « Article 6ter Express » : OMPI
- CJUE, 16 juillet 2009, aff. C-202/08 P et C-208/08 P
- Tribunal de l’Union européenne, 14 juillet 2015, aff. T-55/14