Choisir une marque, c’est nouer un pacte de confiance avec le public. Si le signe évoque à tort une origine, une qualité ou un agrément, il bascule dans la catégorie des « signes déceptifs ». L’INPI peut alors refuser l’enregistrement, et un concurrent ou une association obtenir la nullité même des années plus tard. Découvrez les règles applicables et les réflexes à adopter pour déposer, exploiter et défendre votre marque sans risquer l’accusation de tromperie.
Une marque déceptive peut coûter cher
Votre marque raconte une histoire. Mais si cette histoire induit le public en erreur, elle peut être annulée, même plusieurs années après son dépôt. Le droit des marques protège le consommateur avant tout. Lorsqu’un signe évoque à tort une origine, une qualité ou un agrément, il trahit cette promesse.
La jurisprudence veille, et les sanctions contre une marque déceptive sont lourdes : retrait du marché, perte des droits, dommages et intérêts. Pour éviter cela, mieux vaut comprendre les critères de validité et intégrer ces règles dès la création de votre signe.
Pourquoi le droit interdit les marques trompeuses
Le droit français, comme le droit européen, repose sur un principe simple : une marque doit transmettre une information loyale au consommateur. L’article L. 711-3 c) du Code de la propriété intellectuelle interdit ainsi toute marque « de nature à tromper le public », aussi qualifiée de marque déceptive. Cette disposition vise à garantir une concurrence honnête et à protéger les acheteurs contre les pratiques commerciales trompeuses.
Les tribunaux appliquent cette règle de manière constante. Trois éléments structurent leur raisonnement. D’abord, la tromperie n’a pas besoin d’être effective. Il suffit d’un risque sérieux de confusion pour invalider un signe. Ensuite, l’analyse se fait au moment du dépôt de la marque, en tenant compte de la perception d’un consommateur moyen appartenant au public ciblé. Enfin, l’examen porte sur l’ensemble du signe : son nom, ses couleurs, ses images, son style graphique et le message qu’il transmet globalement.
Prenons un exemple concret. La cour d’appel de Paris a annulé une marque sonore contenant les lettres « NYC » pour des jeans produits en Asie. Les juges ont considéré que cette évocation laissait penser à une fabrication new-yorkaise, ce qui trompait le consommateur, même si celui-ci était familier de la culture américaine. Cette décision montre bien que la perception du public prime sur l’intention du déposant concernant une marque déceptive.
Le filtre s’applique aussi bien avant qu’après l’enregistrement. L’INPI peut refuser une marque lors de son examen initial. Mais une fois enregistrée, elle reste vulnérable : tout tiers intéressé peut en demander l’annulation à tout moment. La vigilance s’impose donc dès la phase de conception du signe.
Les évocations rendant la marque réceptive
Les marques déceptives reposent souvent sur des signaux implicites. Un mot, une image, une date ou un symbole suffit à créer une impression fausse. La jurisprudence met en lumière quatre grandes sources de confusion :
- Commençons par l’origine. Le lieu de fabrication ou d’élaboration influence fortement l’achat. Les marques comme « La pizza de Saint-Tropez » ou « Thé vert Laaraïchi » ont été annulées parce que leur évocation géographique ne correspondait pas à la réalité de production. Même si le lieu cité n’est pas célèbre dans le secteur, sa simple mention peut induire en erreur. Les juges se placent dans la peau d’un consommateur pressé : ils retiennent sa première impression, sans examen attentif de l’étiquette.
- Deuxième source de tromperie : la qualité ou la composition. Certains termes suggèrent un niveau élevé ou une certification réglementée. Le mot « bio » en est un bon exemple. En 2024, la marque « Ovibio » a été annulée parce que ses produits ne respectaient pas la réglementation européenne du bio.
- Troisième cas fréquent : l’usage de signes officiels. Croix verte, blason, sigle administratif… Ces éléments font croire à un agrément ou à une certification publique. En réalité, leur usage est strictement encadré. La justice a ainsi annulé des marques incluant une croix verte ressemblant à l’emblème des pharmaciens alors qu’aucune autorité ne délivrait un tel agrément.
- Enfin, la tradition ou l’ancienneté peut induire en erreur. Mentionner « Maison fondée en 1717 » suppose de prouver une activité continue depuis cette date. Dans l’affaire « Fauré Le Page 1717 », la marque a été annulée car la société actuelle, créée en 2009, n’avait aucun lien avec l’entreprise armurière d’origine. Selon les juges, l’ancienneté représente un critère d’achat déterminant, notamment dans le secteur du luxe.
Cependant, tous les termes évocateurs ne sont pas déceptifs. Si le public ne comprend pas l’allusion, il n’y a pas de tromperie. La marque « Vesuvia » a ainsi été validée pour des rosiers. Le volcan napolitain n’a aucun rapport avec l’horticulture, et le consommateur français ne s’attendait pas à une provenance italienne précise.
Quels contrôles et quelles sanctions en cas de marque déceptive
L’INPI exerce un premier contrôle lors de l’examen de la demande. S’il détecte un risque de tromperie, il peut refuser l’enregistrement ou exiger une modification du libellé. Ce rejet repose sur un motif absolu, sans avoir besoin d’un tiers opposant. En cas de désaccord, le déposant peut engager un recours administratif, puis judiciaire. L’EUIPO, pour les marques européennes, suit une logique identique.
Mais le danger ne disparaît pas après l’enregistrement. La nullité peut être demandée à tout moment par un tiers justifiant d’un intérêt à agir. Il peut s’agir d’un concurrent, d’une association de consommateurs ou d’une collectivité territoriale. Cette action n’est pas soumise à prescription : la tromperie touche l’ordre public.
Les conséquences d’une annulation sont lourdes. La marque est réputée n’avoir jamais existé. Le titulaire perd ses investissements marketing et doit souvent retirer ses produits du marché. Dans certains cas, il doit aussi indemniser les victimes de la confusion. La jurisprudence Skyrock/NRJ l’illustre : après l’annulation de la marque « Premier sur le matin », Skyrock a dû verser des dommages à NRJ pour détournement d’audience.
Le risque ne s’arrête pas là. Une marque initialement valable peut devenir trompeuse si son usage évolue. Le juge peut alors prononcer la déchéance. Cette sanction s’applique notamment lorsque l’usage ne reflète plus le contenu du libellé. L’exemple de la marque « Inès de la Fressange » est éclairant. Lorsque la créatrice a cessé toute implication artistique, un concurrent a demandé la déchéance partielle. Les tribunaux ont reconnu que le public associait le nom au style personnel de l’artiste. L’absence de lien créait une tromperie sur la provenance créative.
Comment construire une marque fiable et sécurisée
Pour éviter toute sanction en raison d’une marque déceptive, mieux vaut intégrer les exigences juridiques dès la phase de création. Plusieurs bonnes pratiques permettent de sécuriser un dépôt.
- Il faut d’abord identifier les termes sensibles. Une simple carte mentale permet de repérer les mots liés à un lieu, une certification, une date ou une fonction réglementée. Supprimer un qualificatif comme « authentique » ou « traditionnel » suffit parfois à lever le risque.
- Ensuite, il est essentiel de croiser les bases juridiques. Vérifiez la base INAO pour les indications géographiques, la base 6ter pour les emblèmes officiels, les règlements applicables au bio, à la santé ou au vin. Une recherche préliminaire ne coûte que quelques dizaines d’euros, mais elle peut écarter des mois de procédure.
- Il est aussi recommandé d’analyser la perception du public cible. Constituez un panel restreint. Présentez la marque sans contexte, sans packaging. Notez les réactions. Si une majorité évoque un lieu, un label ou une tradition, le risque existe.
- Le libellé doit refléter strictement la réalité. Il vaut mieux limiter la marque aux seuls produits concernés que de s’exposer à une annulation. Dans l’affaire « Thé vert Laaraïchi », la référence au Maroc est devenue acceptable après avoir restreint le libellé aux thés d’origine maghrébine.
- Enfin, documentez les éléments présentés. Conservez tous les justificatifs : certificats, contrats de sous-traitance, rapports qualité. En cas de contestation, ces preuves peuvent démontrer la bonne foi du titulaire.
Et surtout, surveillez l’évolution de la marque. Un changement d’approvisionnement, de stratégie ou de dirigeant peut modifier la perception du signe et rendre la marque déceptive. Un audit annuel, même sommaire, permet de prévenir les risques de nullité ou de déchéance.
Conclusion
Une marque déceptive n’est jamais anodine. Elle expose son titulaire à une perte de droits, des sanctions financières et un discrédit commercial. En anticipant les points de friction – origine, qualité, agrément, ancienneté – et en adaptant votre stratégie à la réalité du produit, vous protégez à la fois vos clients et votre marque. Dans un marché de plus en plus surveillé, la clarté devient votre meilleur atout.
Deshoulières Avocats vous conseille et vous accompagne en droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies
RESSOURCES :
- Code de la propriété intellectuelle, art. L 711-3 c) et L 714-3
- CJUE, 8 juin 2017, C-689/15, « Gözze » (fonction de garantie)
- Cass. com., 10 janvier 2024, n° 22-17 102, « Ovibio » (usage de « bio »)
- CA Paris, 24 février 2015, n° 14/11013, « Amsterdam Poppers »
- Guide INPI « Motifs absolus de refus » (dernière édition)