Depuis trente ans, la loi Toubon rappelle que le français reste la langue de référence sur le territoire national. Elle vise la publicité, l’étiquetage et le choix d’une marque. Ignorer ces règles entraîne des amendes et fragilise la confiance des consommateurs. Pourtant, de nombreuses entreprises mêlent slogans anglais et noms de produits exotiques pour séduire un public international. Comment concilier créativité, marketing et légalité ?
La loi du 4 août 1994 poursuit deux buts.
- D’abord, elle protège les consommateurs en garantissant une information claire dans leur langue.
- Ensuite, elle défend le patrimoine linguistique français proclamé à l’article 2 de la Constitution.
Son article 2 impose le français pour toute « désignation, offre ou présentation » accessible au public. Cette obligation englobe l’emballage d’un shampooing, la fiche technique d’un logiciel, le bandeau d’une chaîne de télévision et un affichage LED sur la voie publique.
Le texte tient compte du droit de l’Union européenne. Dans l’arrêt du 12 septembre 2000 sur l’étiquetage des denrées alimentaires, la Cour de justice a jugé qu’imposer exclusivement le français aux produits importés portait atteinte à la libre circulation. Le législateur français a donc adopté un principe de proportionnalité : la langue commune prime lorsqu’une norme européenne harmonise déjà l’étiquetage. À défaut, l’exigence française demeure si elle protège la santé ou la loyauté de l’information.
Les sanctions sont claires. Le non-respect relève d’une contravention de quatrième classe : 750 € pour une personne physique, 3 750 € pour une société. En cas de récidive, le montant double. Le Conseil constitutionnel a validé ce régime le 29 juillet 1994 ; la chambre criminelle de la Cour de cassation l’a appliqué en 2007 pour un mode d’emploi rédigé uniquement en anglais. Le maintien d’une information en français sert aussi l’ordre public économique : le consommateur comprend ce qu’il achète, le juge voit une protection contre les pratiques trompeuses. La loi Toubon s’articule ainsi avec le Code de la consommation pour imposer une transparence linguistique minimale.
2. Marques en langue étrangère : libertés et limites de la loi Toubon selon l’utilisateur
Pour les entreprises privées, le principe est souple. Le Code de la propriété intellectuelle autorise l’enregistrement d’un signe anglais, espagnol ou japonais, à condition qu’il soit distinctif et non trompeur. Les juges évaluent la compréhension réelle du public français au moment du dépôt. En 2009, « Webshipping » a été validée pour des services logistiques, car le terme restait technique. À l’inverse, « Speed Dating » a échoué : le concept était déjà entré dans le langage courant.
Les personnes publiques – communes, musées, agences nationales – doivent respecter une règle plus stricte. L’article 14 de la loi Toubon leur interdit d’utiliser une marque étrangère s’il existe un équivalent français officialisé. La commune du Grau-du-Roi a toutefois obtenu une exception avec « Let’s Grau » faute d’expression équivalente. Deux exemptions valent aussi pour les personnes publiques :
- les marques déposées avant 1994 restent valables ;
- de plus, si aucun terme français n’existe, la marque étrangère demeure possible après vérification auprès de la Commission d’enrichissement de la langue.
Une vigilance supplémentaire s’impose pour les marques de l’Union européenne. L’EUIPO rejette tout signe descriptif ou générique même dans une seule région. Un mot banal en néerlandais, même original en français, sera refusé pour l’ensemble du marché. Les entreprises tournées vers l’export doivent donc tester la perception du terme dans chaque langue officielle. En cas de doute, elles choisissent un néologisme ou ajoutent un élément figuratif pour renforcer la distinctivité.
Enfin, attention au risque de concurrence déloyale. Déposer en France un terme usuel aux États-Unis pour bloquer l’importation – l’affaire « Cold Duck » de 1974 reste emblématique – peut se retourner contre l’auteur. Le juge annule alors la marque pour fraude.
3. Mentions commerciales, slogans et messages publicitaires : l’obligation de traduction claire
Déposer un slogan comme marque ne suffit plus à contourner la loi. Depuis 1994, les « mentions et messages enregistrés avec la marque » doivent, sauf exception, apparaître en français. Cette règle vise les étiquettes, les catalogues, les spots radio, les vidéos sponsorisées et même les stories Instagram payantes.
Vous pouvez conserver une version étrangère, mais la traduction doit être aussi visible, audible ou intelligible. Un bandeau sous-titré est admis si sa taille permet une lecture sans effort ; une voix off française peut doubler le slogan anglais, à condition d’être diffusée en même temps et au même volume. Un simple astérisque renvoyant vers des conditions générales introuvables reste insuffisant.
L’Arcom, héritière du CSA, contrôle radio et télévision. Sa recommandation du 18 janvier 2005 autorise une traduction verbale ou écrite, mais exige qu’elle soit immédiate. Les marques, prises isolément, échappent à l’obligation, sauf pour les personnes publiques. En revanche, les allégations de qualité – « ice cream », « limited edition », « premium quality » – nécessitent une version française. Les œuvres diffusées en version originale, les chansons étrangères et les émissions d’apprentissage des langues sont dispensées.
Si l’annonceur traduit tout son message, la version française doit avoir la même proéminence, jamais en police réduite ni couleur pâle. La lettre du texte vise les slogans « enregistrés avec la marque ». Pourtant, l’Arcom considère le dépôt autonome comme une fraude s’il sert à éluder la loi ; mieux vaut donc traduire.
4. Internet, e-commerce et nouvelles technologies : appliquer la règle dans un monde sans frontières
Le réseau n’a pas effacé la loi Toubon. Les tribunaux utilisent deux tests pour savoir si un site relève du droit français. D’abord, le critère de « focalisation » : le contenu vise-t-il les acheteurs français ? Prix en euros, livraison promise en France, numéro « 0 800 » ou nom de domaine « .fr » constituent des indices forts. Ensuite, le critère du lieu d’établissement du prestataire : une société enregistrée à Paris doit respecter la loi même si elle vend à l’étranger.
La directive européenne sur le commerce électronique, transposée en 2004, confirme cette approche. Elle impose de suivre la loi du pays d’établissement, tout en permettant au consommateur de profiter des règles protectrices de son lieu de résidence. Un site belge qui vend en France affiche donc ses pages en néerlandais et français ; un site français qui exporte ajoute une version anglaise sans supprimer la version française.
Les technologies posent aussi la question des modes d’emploi. En 2007, la Cour de cassation a sanctionné un fabricant de GPS qui fournissait une notice uniquement en anglais. La circulaire du 19 mars 1996 l’avait déjà prévu : le manuel intégré à un logiciel doit être disponible en français, qu’il soit imprimé, en ligne ou accessible par QR code. Le même principe s’applique aux applications mobiles, objets connectés et tutoriels vidéo.
Ne négligez pas le référencement naturel. Google pénalise les pages qui mélangent plusieurs langues sans cohérence. Préparez une version française complète, enrichissez-la avec des mots clés longue traîne : « marque en langue étrangère », « obligation d’emploi du français en publicité », « traduction obligatoire slogan ». Créez ensuite une version anglaise distincte, signalée par l’attribut hreflang ; ainsi, vous répondez aux moteurs de recherche et aux exigences légales.
Sur Internet, les places de marché et les app stores suivent la même logique. Apple exige la localisation française des fiches produits destinées au marché hexagonal. Google Play demande une description claire en français pour les applications payantes distribuées en France. Les influenceurs qui promeuvent un produit en anglais doivent intégrer des sous-titres français lisibles. Ces obligations, parfois méconnues, évitent le contentieux et renforcent la confiance numérique.
Conclusion
Respecter la loi Toubon ne signifie pas bannir l’anglais ou l’italien de votre communication. Il s’agit d’offrir au public français une information claire sans sacrifier votre identité internationale. Vérifiez vos marques avant le dépôt, assurez une traduction visible de vos slogans et adaptez vos sites aux visiteurs hexagonaux. Vous protégerez votre enseigne, éviterez les contraventions et consoliderez la confiance de vos clients.
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RESSOURCES :
- Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française
- CJUE, 12 septembre 2000, aff. C-366/98 (Étiquetage des denrées alimentaires)
- crim., 13 novembre 2007, n° 06-89.330 (Notice d’utilisation en anglais)
- CSA/Arcom, recommandation du 18 janvier 2005 sur l’emploi de la langue française à la radio et à la télévision
- CA Paris, 22 mai 2012, n° 11/20442 (critère de focalisation des sites web)