Réseaux sociaux, messageries, cloud, contenus en ligne… Nos vies numériques continuent d’exister longtemps après notre mort. Le 31 octobre 2025, la CNIL a publié un dossier « Mort numérique : quels sont vos droits ? Quels sont les droits des héritiers ? » pour clarifier le cadre juridique français. Elle rappelle que, même si le RGPD ne protège que les vivants, la loi Informatique et Libertés permet d’organiser son « héritage numérique » et d’agir sur les données d’un proche décédé. Tour d’horizon, en langage simple, de ces droits et des bonnes pratiques à adopter.

1. Mort numérique : des traces en ligne qui survivent au décès
Décéder ne signifie pas disparaître d’internet. Profils sur les réseaux sociaux, photos, messages, comptes de jeux, abonnements, espaces de stockage… toutes ces données restent généralement en ligne si rien n’a été prévu.
Selon une enquête Harris Interactive–CNIL réalisée en 2024, près d’un tiers des Français déclarent avoir déjà vu des contenus provenant de comptes de personnes décédées sur les réseaux sociaux. La situation est loin d’être marginale : une étude de l’Oxford Internet Institute estimait déjà en 2019 qu’à l’horizon 2070, les comptes de personnes décédées pourraient être plus nombreux que ceux des vivants sur certaines plateformes.
Cette réalité soulève des questions très concrètes :
- peut-on demander la suppression ou la transformation d’un compte ?
- qui est autorisé à récupérer certaines données (par exemple pour régler la succession) ?
- comment éviter que des contenus sensibles continuent de circuler ?
C’est à ces interrogations que la CNIL répond dans son actualité du 31 octobre 2025, en rappelant que, si le RGPD ne s’applique pas aux personnes décédées, la loi Informatique et Libertés encadre précisément le traitement de leurs données.
2. Anticiper sa mort numérique : vos droits pour décider du sort de vos données
La clef du dispositif français, c’est l’article 85 de la loi Informatique et Libertés. Il prévoit que toute personne peut définir, de son vivant, des directives sur la conservation, l’effacement et la communication de ses données personnelles après son décès.
Deux types de directives sont possibles :
- Les directives générales :
- elles s’apparentent à un véritable « testament numérique » ;
- elles couvrent l’ensemble de vos données personnelles ;
- elles peuvent être enregistrées auprès d’un « tiers de confiance » (par exemple un professionnel certifié), qui sera chargé de les faire respecter.
- Les directives particulières :
- elles visent un service ou un compte précis (réseau social, messagerie, plateforme, etc.) ;
- elles doivent être directement enregistrées auprès du responsable de traitement concerné (par exemple Facebook, Google, un opérateur, une banque…) ;
- elles nécessitent un consentement spécifique et ne peuvent pas être noyées dans les simples conditions générales d’utilisation.
Vous pouvez, à tout moment, modifier ou révoquer ces directives. Vous pouvez également désigner une personne chargée de leur exécution ; à défaut, ce sont vos héritiers qui auront qualité pour demander leur mise en œuvre auprès des organismes qui détiennent vos données.
La loi impose en outre à tout prestataire de services en ligne d’informer les utilisateurs du sort de leurs données à leur décès et de leur permettre de choisir s’ils souhaitent les communiquer ou non à un tiers de confiance.
Concrètement, cela passe souvent par des paramètres dédiés dans les comptes : compte commémoratif, suppression automatique après une période d’inactivité, désignation d’un contact légataire, etc. La CNIL recense d’ailleurs les liens directs vers ces pages pour les principaux acteurs (Apple, Facebook, Google, Instagram, LinkedIn, X/Twitter, TikTok, etc.).
3. Après le décès : quels pouvoirs pour les héritiers et les proches ?
Que se passe-t-il si aucune directive n’a été laissée ? Dans ce cas, c’est toujours la loi Informatique et Libertés, et en particulier l’article 85, qui organise les droits des héritiers.
La CNIL rappelle deux principes essentiels :
- Les directives éventuellement laissées par la personne décédée priment et s’imposent aux héritiers et aux plateformes.
- En l’absence de directives, les héritiers peuvent agir, mais dans un cadre strict.
L’article 85 §II précise que, dans ce second cas, les héritiers peuvent exercer certains droits « dans la mesure nécessaire » à :
- l’organisation et le règlement de la succession :
- identifier des comptes ou contrats en ligne ;
- obtenir communication d’informations utiles à la liquidation et au partage (par exemple, des factures dématérialisées, des contrats d’abonnement, des portefeuilles numériques, etc.) ;
- recevoir des « biens numériques » (musiques, vidéos, contenus achetés) ou des données s’apparentant à des souvenirs de famille (photos, vidéos, etc.), lorsqu’ils sont transmissibles aux héritiers.
- la prise en compte du décès par les organismes :
- demander la clôture des comptes utilisateurs du défunt ;
- s’opposer à la poursuite des traitements de ses données ;
- ou demander la mise à jour de ces traitements (par exemple, faire cesser l’envoi de newsletters, de relances commerciales, etc.).
Ces droits s’exercent dans le respect d’autres règles, notamment le secret des correspondances pour les comptes de messagerie. Un héritier ne peut pas, par principe, lire librement les e-mails du défunt : la loi vise avant tout les données nécessaires à la succession ou à la prise en compte du décès, pas l’accès généralisé à l’ensemble des échanges privés.
Enfin, la CNIL souligne que les proches qui s’estiment lésés par l’usage de données relatives à un défunt peuvent saisir les tribunaux pour obtenir réparation, notamment lorsque le traitement porte atteinte à la mémoire, à l’honneur ou à la réputation de la personne décédée ou cause un préjudice aux héritiers.
4. Plateformes, entreprises, particuliers : les bonnes pratiques à adopter dès maintenant
La publication de la CNIL invite autant les particuliers que les organisations à prendre la mort numérique au sérieux.
a. Pour les particuliers : penser son « testament numérique »
Quelques réflexes simples peuvent éviter bien des difficultés à vos proches :
- recenser vos principaux comptes (messageries, réseaux sociaux, cloud, services en ligne…) ;
- paramétrer, quand c’est possible, les options post mortem proposées par les plateformes (suppression automatique, compte commémoratif, contact légataire, etc.) ;
- rédiger des directives générales ou particulières sur le devenir de vos données, en vous appuyant si besoin sur un professionnel (notaire, avocat) ;
- informer la personne que vous désignez (légataire ou tiers de confiance) de l’existence de ces directives.
Ces démarches peuvent être intégrées dans la réflexion plus globale sur votre succession (testament, organisation patrimoniale, protection du conjoint, etc.) et constituent un volet à part entière de votre patrimoine numérique.
b. Pour les plateformes et responsables de traitement : mettre en place un vrai parcours « post mortem »
Pour les entreprises et services numériques, la CNIL donne aussi des lignes directrices :
- proposer une information claire aux utilisateurs sur le sort de leurs données en cas de décès ;
- offrir des mécanismes de paramétrage (directives particulières, contacts légataires, suppression après inactivité) et les rendre facilement accessibles ;
- prévoir une procédure de signalement d’un compte de personne décédée, avec vérification rigoureuse (certificat de décès, justificatifs d’identité, qualité d’héritier, etc.) ;
- ne pas conserver indéfiniment des comptes manifestement inactifs, et définir des durées de conservation cohérentes, le cas échéant avec un avertissement préalable adressé à l’utilisateur.
Au-delà du respect de la loi, il s’agit aussi d’un enjeu d’image et de confiance : la manière dont une entreprise traite les données des personnes décédées est observée de près par les utilisateurs… et par leurs familles.
A retenir :
En résumé, la « mort numérique » est désormais clairement encadrée en droit français :
- chacun peut décider, à l’avance, du sort de ses données après son décès ;
- les héritiers disposent de droits précis pour fermer des comptes, s’opposer à certains traitements et récupérer les informations nécessaires à la succession ;
- les plateformes et entreprises doivent adapter leurs pratiques pour respecter ces choix et faciliter les démarches des proches.
Dans ce contexte, l’accompagnement par des professionnels du droit des données personnelles permet à la fois d’anticiper sereinement son héritage numérique et de sécuriser, pour les organisations, la conformité de leurs procédures de gestion des comptes d’utilisateurs décédés.
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