Sélectionner une page

Marque de renommée : prouver son aura et élargir sa protection

La loi admet qu’une marque renommée bénéficie d’un bouclier plus vaste que celui prévu par le principe de spécialité. Encore faut-il démontrer cette aura. Charge de la preuve, faisceau d’indices, recours au sondage : découvrez la méthode pour transformer la notoriété d’un signe en arme juridique.

1) Pourquoi la renommée ouvre-t-elle un territoire hors spécialité ?

Le dépôt d’une marque confère un monopole limité aux produits ou services énumérés dans le formulaire de l’INPI. Cette limite – le principe de spécialité – équilibre protection du signe et liberté du commerce. Il permet de verrouiller votre segment sans empêcher les autres secteurs d’utiliser un même mot ou logo.

Cependant, lorsque la marque transcende sa niche au point d’influencer largement les comportements d’achat, la loi craint le parasitisme. L’article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle et l’article 9, § 1 c) du Règlement UE 2017/1001 autorisent alors une action contre l’exploitation d’un signe identique ou similaire, même pour des produits différents, à condition de prouver trois éléments :

  • Renommée avérée ;
  • Lien mental chez le public ;
  • Profit ou préjudice injustifié.

La CJUE l’a rappelé dans les arrêts General Motors (1999) et ÖKO-Test (2019).

  • Dans le premier, elle définit la renommée comme une connaissance par « une partie significative du public concerné » ;
  • Dans le second, elle confirme que le titulaire d’un label célèbre peut interdire l’usage de son cartouche sur des dentifrices non testés.

Ainsi, la renommée justifie une protection élargie parce qu’elle préserve la fonction d’investissement : l’effort marketing qui fait briller le signe ne doit pas servir de tremplin à un tiers.

2) Qui porte la charge de la preuve ?

En droit français comme européen, le demandeur doit prouver la renommée ; c’est le prolongement du principe « actori incumbit probatio ». La Cour de cassation l’a répété, notamment dans l’affaire Cora/Coravin (2022). Cette décision rappelle deux points essentiels pour le praticien :

  • Premièrement, il faut démontrer que la notoriété concerne le signe en tant que marque, et non comme simple enseigne ou dénomination sociale ;
  • Deuxièmement, la preuve vise le public concerné par les produits ou services protégés, pas la population générale. Concrètement, l’actionnaire d’un hypermarché ne peut invoquer la fréquentation de ses magasins pour protéger une marque déposée uniquement pour des ustensiles de cuisine si les consommateurs n’identifient pas le mot « Cora » comme un signe distinctif sur ces produits.

Le juge demande aussi une double vérification temporelle : la marque devait être renommée au jour de l’adoption du signe contesté, et elle doit encore l’être à la date d’introduction de l’action. L’arrêt Christian Lacroix (2017) illustre le risque : la marque d’un créateur peut perdre sa superbe après la liquidation de sa maison, rendant l’action hors spécialité inopérante pour l’avenir bien qu’une réparation reste possible pour la période où la gloire était intacte.

3) Le faisceau d’indices : route royale vers la conviction du juge

Faute de définition chiffrée, la jurisprudence recourt à un faisceau d’indices. Chaque pièce éclaire un aspect de la célébrité, mais c’est leur synergie qui emporte la conviction.

  • D’abord, l’ancienneté renseigne sur la persistance : Michelin exploite sa marque depuis 1900 ; Mont Blanc dessert le marché des desserts depuis un siècle. Cette longévité inspire confiance au juge, sans pour autant suffire – la marque « Jaz » prouve qu’on peut sombrer dans l’oubli malgré une histoire glorieuse.
  • Ensuite, le succès commercial pèse lourd. Volumes de vente, parts de marché, couverture territoriale : ces chiffres doivent provenir de sources externes (cabinets d’études, syndicats professionnels, publications financières) pour garder crédibilité. Les juridictions apprécient aussi l’intensité géographique ; la CJUE accepte qu’une marque de l’Union soit renommée si elle rayonne sur un seul État membre significatif, comme l’Autriche dans l’arrêt Pago (2009), mais la Cour de cassation refuse que l’on se limite au seul public français pour une marque de l’Union (arrêt Glenmorangie 2019).
  • Troisième pilier : l’investissement publicitaire. Budgets médias, campagnes d’affichage, sponsoring d’événements, placement produit : l’affaire TDK souligne l’importance de concerts internationaux ou de compétitions sportives pour établir l’intensité promotionnelle. Les documents internes valent peu sans corroboration externe – le juge préfère les factures d’agences, les attestations de régies publicitaires, les reportages de presse.

D’autres indices complètent le tableau : citations dans le Larousse, mentions récurrentes dans la presse ou sur les réseaux, positions dans les classements de moteurs de recherche, prix décernés par des jurys spécialisés. La liste reste ouverte ; le principe est simple : plus les pièces convergent, plus l’effet « wow » se crée et plus la renommée paraît évidente.

4) Les sondages d’opinion : un outil puissant mais piégeux

Certains titulaires préfèrent le sondage, jugé plus « scientifique ». En pratique, cette méthode soulève trois écueils.

  • Coût d’abord : de 4 000 € à 15 000 € pour un panel représentatif, hors mise à jour éventuelle.
  • Délai ensuite : rédiger un questionnaire neutre, cibler l’échantillon, réaliser les interviews, compiler les résultats prend plusieurs mois.
  • Interprétation enfin : sans seuil légal, 70 % de notoriété peuvent convaincre un juge et paraître insuffisants à un autre. La CJUE a refusé d’imposer un quota dans General Motors, privilégiant l’analyse qualitative.

Pour limiter la subjectivité, la doctrine recommande un questionnaire spontané, sans citer la marque, suivi d’une question assistée pour classer les premiers noms évoqués. Le sondage n’est toutefois qu’une brique ; les tribunaux l’utilisent surtout pour confirmer l’intuition née du faisceau d’indices. Il arrive que des marques iconiques (Duplo, Connexion) soient reconnues renommées sur la seule foi d’un sondage très net, mais l’exemple reste marginal et réservé aux cas « éclatants ». À l’inverse, si le sondage se heurte aux indices, le juge pourra douter ; la cour de Paris a ainsi déclassé la marque « Elle » pour l’organisation de conférences, estimant que les chiffres décrivaient l’usage, non la renommée, sur cette activité précise.

Conclusion

La preuve de la renommée repose sur une stratégie documentaire : anticiper, archiver et croiser les sources. Soutenez vos chiffres par des justificatifs externes, conservez vos budgets publicité, sollicitez des études indépendantes, réalisez des sondages ciblés si nécessaire. Agissez vite : la renommée s’entretient et se mesure au jour du litige. Préparer ce dossier avant tout contentieux, c’est transformer la notoriété en avantage concurrentiel décisif.

Deshoulières Avocats vous conseille et vous accompagne dans vos litiges en propriété intellectuelle.

DEMANDER UN DEVIS GRATUIT

RESSOURCES :

Partager :

Une question ?
Deshoulières Avocats a été classé parmi les meilleurs cabinet d’avocats en droit des nouvelles technologies par le journal Le Point.

Nous conseillons et défendons plus de 750 entreprises, en France et à l’international.

DEVIS GRATUIT

Demandez dès à présent un devis gratuit. Deshoulières Avocats s’engage à vous répondre sous 24h.

UNE QUESTION ? UN BESOIN ? CONTACTEZ-NOUS

Deshoulières Avocats conseille et défend plus de 750 entreprises, en France et à l’international.